Par Antoine de Lacoste.
Le cauchemar de l’Irak
L’Irak n’a pas de chance. C’est sur elle que George Bush a jeté son dévolu pour venger le 11 septembre et/ou anéantir ses armes de destructions massives. Sadam Hussein, son dictateur sunnite solidement établi, n’y croyait pas. Il n’avait rien à voir avec le 11 septembre, ce que tout le monde savait, et n’avait pas d’armes de destructions massives, ce que tout le monde ne savait pas.
Pour échapper à l’invasion, il autorisa toutes les inspections internationales qui ne trouvèrent rien. Il comptait sur la France pour empêcher que l’ONU ne donne son aval à la destruction de son pays. Dominique de Villepin fit en effet un discours assez étonnant au siège de l’organisation demandant à l’Amérique de renoncer à son projet insensé. Peine perdue, les mandats de l’ONU, si on les a tant mieux, si on ne les a pas, tant pis. En 1995 puis en 1999, l’OTAN, avec la France cette fois, a attaqué la Serbie pour aider ses adversaires musulmans en toute illégalité sans que cela ne dérange personne, sauf la Russie mais Poutine n’était pas encore aux affaires.
Le pauvre Sadam se disait qu’après la première attaque de 1991, il avait eu son compte. Mais non, ce n’est pas comme cela que les choses fonctionnent. En attaquant l’Iran en 1980, l’Irak rendait service à l’occident qui lui a massivement vendu des armes pendant les huit ans de cette guerre meurtrière et parfaitement inutile. Guère payé en retour, il a voulu rentrer dans ses frais en envahissant le Koweit et son riche sous-sol. La punition américaine fut rude mais George Bush père eut l’intelligence de ne pas aller plus loin. La doctrine de changement de régime chère aux néo-conservateurs n’était pas encore dominante à Washington.
George Bush fils annonça donc qu’il fallait finir « le job » (les anglo-saxons aiment ce langage très « corporate »). On connait la suite : l’invasion fut une réussite et la gestion qui suivit un désastre. Tous les cadres de l’armée et du parti Baas furent licenciés, on installa un pouvoir chiite qui succéda au régime sunnite : application démocratique simpliste, les chiites étant majoritaires en Irak, il est juste que le pouvoir leur revienne.
Mais l’Orient est compliqué. Ces sunnites chômeurs, laïques jusque-là, devinrent islamistes et furent les cadres fondateurs de l’Etat islamique par la suite. C’est Cochise, l’homme décrit par le manichéen mais intéressant Bureau des Légendes (saison 3).
Quant aux chiites, une fois aux affaires sous le parapluie américain, ils persécutèrent les sunnites et se rapprochèrent de l’Iran, le grand ennemi de l’Amérique. Belle réussite !
Les pauvres chrétiens, déjà peu nombreux, furent affreusement persécutés par l’insurrection islamiste sunnite puis par Daech. Il en reste une poignée, soit trop pauvres pour partir, soit très courageux.
Aujourd’hui, l’Irak vit dans le chaos et sa population dans la pauvreté. L’Iran tient les manettes et Daech n’a pas dit son dernier mot. Seule lueur d’espoir, les émeutes de l’automne dernier étaient le fait de jeunes chiites qui scandaient non seulement « dehors les Américains » mais aussi « dehors les Iraniens ». C’est une grande nouveauté qui est peut-être l’amorce d’un début de sentiment national. ■
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