Il fut un temps pas si lointain – le rédacteur de ces lignes l’a vécu – où il était assez mal vu à l’Action française – parfois interdit – de citer Georges Bernanos. C’était la survivance de querelles anciennes que l’on n’avait pas su surmonter. Les choses ont bien changé aujourd’hui. Bernanos est très présent, très commenté, très louangé aujourd’hui à l’A.F. et, bien-sûr, au-delà. Mais en parle-t-on toujours en connaissance de cause ?
Je Suis Français a choisi de remonter aux sources de la relation entre Georges Bernanos, Charles Maurras et l’Action française dans son ensemble, en publiant de larges extraits de l’évocation qu’en donne Henri Massis* dans son Maurras et notre temps. Massis a vécu les événements qu’il relate de très près, il en a été l’un des acteurs, très proche des protagonistes. C’est, à notre sens, une source incontournable pour qui veut savoir et comprendre.
* Henri Massis – Wikipédia
La grande tribulation…
Voilà quelles avaient été, durant plus de quinze années, les relations de Bernanos avec l’Action française*.
Envers ce « passé », il pouvait doncm’assurer : « Je suis libre », lorsqu’en septembre 1926, la grande tribulation commença. Bernanos prétendait même qu’ « en un certain sens, l’Action française n’avait pas volé ce coup dur ». Qu’entendait-il par là ? Oh ! ce n’était point contre Maurras, contre les idées de l’« incroyant Maurras » que Bernanos pointait son dépit : c’était contre ce que les doctrines maurrassiennes avaient pu, selon lui, devenir dans la cervelle de certains nigauds et dans les articles qui sortaient de leurs plumes. C’était contre cette « déchéance » que l’ancien camelot tournait sa colère ; c’était à ces « larves », à ces « fossiles » que Bernanos en avait ! Il les regardait comme des objets, comme des choses, car les « idées » ne l’intéressaient que par leur cheminement dans des êtres : elles avaient toujours pour lui un « visage ». Le créateur de figures, le romancier l’emportait, et son génie imaginatif poussait ses personnages jusqu’à une sorte de « typification symbolique, féroce et caricaturale. Que lui importaient les victimes ? A travers elles, c’était le « monde invisible » qu’il voulait atteindre, le monument d’iniquité ou de sottise qui opprimait son cœur et le cœur de ses pareils. Quand Bernanos se prenait à songer à certains de ceux que l’Action française appelait indistinctement nos amis, il se représentait incontinent cet « imbécile de Z », ou cette « pimbêche d’Y »; et il voyait, des yeux de la tête, tel de ces « honorables bonshommes» ou telle de « leurs seigneuriales épouses » qu’il avait rencontrés, au hasard de ses tournées d’assureur, et qui avaient eu, les pauvres, le malheur de lui porter sur les nerfs ! Cela lui suffisait : impossible de l’en faire démordre.
C’est ainsi que, généralisant ses impressions, il accusait en bloc l’Action française de « s’être laissé compromettre par les beaux esprits gui jouent les libertins dans les salons et qui y multiplient les sentences et les gaffes ». « Comme les ruffians violets que le Saint-Siège entretient ici à grands frais, sous prétexte d’information, ne traînent leurs souliers à boucle d’argent que dans ces bas lieux, prennent le mot d’ordre dans les antichambres et cuisinent les domestiques, me disait-il alors, le dernier des calembours fait par l’un de ces drôles prend une importance fantastique. » Et, en fils de Léon Bloy, lui aussi (mais de ce Bloy qui avait la vitupération pour fin propre, et que Maritain « excusait ») Bernanos éructait : « Il est grotesque d’entendre une jeune fille d’Action française et « bien pensante » parler de ses maîtres préférés (!) : Stendhal et Anatole France ! » « Cela se paie », ajoutait-il, en justicier implacable.
Mais tout cela n’était, au regard de Bernanos — et il le déclarait lui-même – que « la partie faible et déjà caduque de l’Action française ». Dans la bataille qui s’engageait, c’était aux catholiques qu’il voulait voir prendre la place qui leur convenait, la première, à condition de servir d’abord au premier rang. [Photo : le pape Pie XI] Cette « occasion vraiment unique », il ne fallait pas la laisser passer ! « Les explications et les distinguo viendront plus tard, me disait-il. Nous n’avons pas le choix, nous n’avons pas le temps. Ce qui nous est demandé à ost instant, c’est de nous compromettre jusqu’à la gauche. La cause nationale exige la caution de nos consciences. et de notre honneur. » Et Bernanos ajoutait à notre adresse : « Vous savez si l’oeuvre entreprise par vous et par Maritain m’a toujours parue indispensable : mais elle devient impossible, inconcevable même, MAURRAS ÉCRASÉ ! ». (À suivre) ■
* Parties précédentes [1] [2] [3] [4]
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Cette série est bougrement intéressante ! Toute cette histoire entre hommes d’exception est la nôtre. Merci de nous la faire connaître. Elle révèle un Bernanos plus vivant qu’il ne ressort de ses histoires de curés. Un autre Bernanos, en somme. L’archétype du non-conforme, de l’incorrect. Et clairement antimoderne. Rien d’un démocrate chrétien …