Il fut un temps pas si lointain – le rédacteur de ces lignes l’a vécu – où il était assez mal vu à l’Action française – parfois interdit – de citer Georges Bernanos. C’était la survivance de querelles anciennes que l’on n’avait pas su surmonter. Les choses ont bien changé aujourd’hui. Bernanos est très présent, très commenté, très louangé aujourd’hui à l’A.F. et, bien-sûr, au-delà. Mais en parle-t-on toujours en connaissance de cause ?
Je Suis Français a choisi de remonter aux sources de la relation entre Georges Bernanos, Charles Maurras et l’Action française dans son ensemble, en publiant de larges extraits de l’évocation qu’en donne Henri Massis* dans son Maurras et notre temps. Massis a vécu les événements qu’il relate de très près, il en a été l’un des acteurs, très proche des protagonistes. C’est, à notre sens, une source incontournable pour qui veut savoir et comprendre.
* Henri Massis – Wikipédia
« Une conspiration contre nos âmes.»
Le secret de cette course éperdue de vingt ans, traversée de fureurs et de cris, qui pourra le comprendre, si l’on ne sait que c’est en 1927 que tout s’est joué pour Georges Bernanos, au moment de cette « condamnation » de l’Action française dont il nous disait avec une mélancolie sans fond : « Il semble de plus en plus qu’il y ait une véritable conspiration contre nos âmes… Où va-t-on? Que veut-on de nous ? »
De l’atroce aventure, Bernanos désespérait alors de pouvoir jamais « épuiser le ridicule et l’ignominie ». « Vous avez raison, m’écrivait-il le jour même où il m’annonçait « l’heureuse mort » de son père, vous avez raison : nous sommes assaillis de toutes parts » —et de me citer ce mot du Père Clérissac : « Il faut avoir souffert non seulement pour l’Eglise, mais par l’Eglise. » Et le 28 mars 1927, devant les mesures disciplinaires que Rome venait de prendre à l’endroit de l’Action française, Bernanos se sentit atteint jusqu’au plus profond de l’âme : « Vous devez avoir de la peine aujourd’hui, comme moi, m’écrivit-il sur le coup. C’est l’instant, ou jamais, de nous souvenir que notre Père est dans les cieux. Que peut-il nous arriver de pire ? Quel plus grand effort a jamais été fait pour arracher, pour déraciner des âmes ? Je meurs de honte et de dégoût. J’ai peur de ces gens d’Eglise tous écumants. Je mets mes deux mains sur les yeux pour ne plus les voir. Je ne veux plus être qu’un pauvre pécheur dans les plis du manteau de Notre-Dame. Qui viendra nous chercher là ? »
Jusqu’alors Bernanos s’était de lui-même porté en avant, sans ménager rien ni personne. « Que n’ai-je mieux qu’une célébrité éphémère à jeter aujourd’hui dans la balance, m’écrivait-il dès le 14 septembre de 1926. Mais je donnerai tout ce que j’ai, absolument… »
Fatigué de corps et d’esprit, Bernanos ne pouvait plus penser à rien d’autre. « Ecrivez-moi par charité. Tenez-moi au courant, me répétait-il par chaque courrier. Répondez-moi tout de suite, sans faute. » Et il ne cessait de me redire : « Je suis beaucoup plus profondément atteint que vous ne pensez par cette affreuse capucinade, cette sorte de farce où Dieu est cependant, bien que nous ne puissions clairement Le reconnaître parmi la troupe abjecte qui ricane et nous crache dans les yeux. Si l’un de nos coups s’égarait sur la Face ensanglantée ! »
Mais Bernanos n’attendait rien de bon « d’un silence qui, disait-il, n’est que prudent et politique, et qu’on ne nommera jamais respectueux que par un dégoûtant calembour ». « Si Pie XI s’en contente, ajoutait-il, c’est qu’il n’est vraiment pas difficile — non ! En ce qui me concerne, je ne m’en sens pas du tout pour baisser le nez en public et m’épancher entre amis… Que voulez-vous que pense le Pape de nos grands saluts et révérences à la cantonade ? La vérité est qu’une fois de plus les catholiques de droite lui donneront l’impression d’avoir perdu toute volonté, toute liberté, et même toute sensibilité propres. On nous flanque un coup de trique à l’improviste, et nous attendons pour crier de douleur un ordre écrit de notre directeur politique ! Cela est pour paraître à Rome plus injurieux que n’importe quoi. »
De la part de Maurras, la volonté « de ne pas rompre avec un gouvernement ami et allié, sans toutefois lui rien céder », une telle réserve semblait à Bernanos se justifier aisément. « Mais nous, catholiques ! ‘écriait-il. Pourquoi laissons-nous réduire l’affaire aux proportions d’une simple querelle entre Rome et une association suspecte ? Il s’agit de bien autre chose ! Ce n’est pas en tant que royalistes, mais en tant que catholiques que nous sommes absolument résolus à briser toute nouvelle tentative de ralliement. L’Action française à terre, il est facile de prévoir que les autres organisations de défense et de combat seront vite à leur tour culbutées. Ni Doncceur, ,ni le père Castelnau lui-même ne sont dans l’esprit de Bierville (1). Nous avions, à faire connaître au Pape qu’il y a, en France, une opinion catholique irréductible, dont le choix est fait. Le moral de nos troupes est admirable. L’injustice a dégoûté tout le monde, à l’exception de Cornilleau et de ses pareils. Alors quoi ? » (À suivre) ■
1. Où s’étaient rassemblés les démocrates et pacifistes chrétiens à l’appel de Marc Sangnier.
* Parties précédentes [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7]
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source.
Dans le contexte actuel, les affres de Bernanos et de ses pareils paraissent bien décalées. On voit bien quelle est la tendance lourde de la Papauté, pour ne pas dire l’Eglise, depuis deux siècles ; hésitante d’abord, puis de plus en plus affirmée. Pour Pie XI, comme pour Paul VI et aujourd’hui François I°, les résistances à sa ligne politique doivent être écrasées. Pie XI piétina sans état d’âme les fidèles, qu’ils soient d’AF (« Je les briserai! ») ou qu’il soient cristeros, qu’il livra aux mitrailleuses de leurs ennemis. Dès lors, ce n’est même pas la désobéissance qui est recommandable aux récalcitrants, c’est l’indifférence. Comme le disait Michel Michel dans l’article que vous avez publié récemment un gallicanisme raisonné est la seule voie pour ceux qui veulent concilier les exigences de leur religion et celles de leur devoir patriotique.
Je suis assez d’accord avec Antiquus sur la conduite à tenir : l’indifférence.
Dans ma Paroisse, où je suis plutôt très engagé et où je connais beaucoup de monde, il y a fort peu de fidèles qui évoquent les « enseignements » du Pape François, qui semblent passer sur eux comme de l’eau sur les plumes d’un canard. Il ne recueille en tout cas pas la ferveur et l’affection reçues par S. Jean-Paul II.
Au cours de sa longue histoire, de toute façon, l’Église a connu turpitudes et vicissitudes. Qu’elle y ait survécu montre bien, à mon sens, qu’elle est d’institution divine. Quel organisme, quelle idéologie auraient survécu à un tel entassement de papes indignes, débauchés, prévaricateurs, indifférents ?
Cum grano salis, d’ailleurs, on pourrait dire la même chose de l’AF, référence divine en moins !
D ‘accord avec Antiquus sur le » gallicanisme raisonné » ; là encore , la voix de la sagesse .
Pour ce qui est de Georges Bernanos , ses ouvrages polémiques comportent des redites ; du reste , le genre (polémique ) vieillit souvent mal , et pourtant , de mémoire , » La Grande Peur des bien- pensants » dresse , entre autres , un tableau de la Droite et de son monde , aprés la chute du Second Empire , n ‘ ayant pris une ride ; le passé expliquant le présent
Cela reste un mode d’ emploi pour ne pas s’illusionner sur les politiciens qui brassent beaucoup de vent ( les bufolampos en patois toulousain : souffler beaucoup et n’arriver qu’ à éteindre des lampes ) .