Par Rémi Hugues.
Réflexions, variations, autour du livre de Pierre de Meuse « Idées et doctrines de la Contre-Révolution ». Suite de 21 articles à paraître les jours prochains, sauf le weekend.
Notre époque du triomphe démocratique et libéral – désormais en voie dʼeffondrement – se plaît à se bercer de lʼillusion que toute désignation de lʼennemi est à prohiber car polémogène, autrement dit dangereuse parce que porteuse de conflictualités.
La conception schmittienne du politique serait par conséquent nuisible. Elle nourrirait la violence. Elle justifierait les discours de haine. À mettre, du coup, dans les poubelles de lʼhistoire. Elle serait, horreur absolue, « fasciste ».
Rappelons-nous ce quʼa dit un jour Emmanuel Todd sur Carl Schmitt. Il lʼa présenté lors dʼun débat face à Florian Philippot animé par Daniel Schneidermann qui sʼest tenu en 2012 sur le plateau dʼArrêt sur images, comme un « théoricien allemand complètement… une sorte de juriste proto-nazi insupportable. »[1]
En lʼattaquant, le démographe et historien, au lieu dʼinvalider la thèse schmittienne de lʼami / ennemi, la renforce. Il nomme lʼennemi, par la calomnie, lʼopprobre, le mépris.
Michel Foucault devait probablement vouer aux gémonies Carl Schmitt. Cependant, en sʼefforçant de déceler dans certains discours des années 1960 un fascisme chimiquement pur, il sʼauto-érigeait en son meilleur disciple. Toute pensée politique est effectivement inséparable dʼune désignation de lʼennemi. Cʼest à cela quʼon la reconnaît.
Karl Marx avait fait de lʼaristocratie financière (ou bourgeoisie), la classe sociale à abattre, jugée coupable dʼexploiter économiquement et de dominer politiquement le prolétariat, les classes subalternes. Il soutenait que les élites capitalistes formaient la classe révolutionnaire par excellence[2].
Dans la vision du monde de Maurras, la figure de lʼennemi se cristallise à travers quatre groupes, si ce nʼest tribus, identifiés à la base par La Tour du Pin et Vaugeois comme des états confédérés dressés contre la France au service du règne de lʼétranger appelé République.
Tant chez « Charles Marx » que chez « Karl Maurras » – si lʼon nous concède cette dissolution de la dualité – cʼest quʼil faut vilipender, critiquer, combattre, cʼest le maître de la loi de lʼor, le ploutocrate, quʼil sʼappelle Monod, Laffitte, Worms ou Rothschild.
Mais lʼautre grande métaphysique de la modernité – ou idéologie – nʼest pas exempte de cette désignation de lʼennemi. Celle qui a accouché de la Révolution de 1789 – ce libéralisme politique apparu aux temps des Lumières – eut comme cible prioritaire le catholicisme.
« Une des premières démarches de la révolution française a été de sʼattaquer à lʼÉglise »[3], nous rappelle Tocqueville. Le roi très chrétien Louis XVI, garant de lʼalliance du trône et de lʼautel, fut dʼun coup paré de tous les vices par les partisans de lʼantinomisme.
À cet égard il faut bien comprendre que le despotisme royal et lʼobscurantisme religieux étaient mutuellement solidaires : pour que lʼun soit arraché de lʼexistence sociale française il fallait arracher lʼautre. [À suivre lundi 18] ■
[1]https://www.dailymotion.com/video/xqfakn
[2]Lire à ce sujet Idées et doctrines de la Contre-révolution de Pierre de Meuse, Poitiers, Éditions Dominique Martin Morin, 2019.
[3]Alexis de Tocqueville, LʼAncien régime et la révolution, Paris, Folio p. 101.
* Un viatique pour les années 2020 – [1][2][3][4][5][6][7][8][9][10][11] [12] [13] [14] [15] [16] [17] [18]
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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