Par Rémi Hugues.
Réflexions, variations, autour du livre de Pierre de Meuse « Idées et doctrines de la Contre-Révolution ». Suite de 21 articles à paraître les jours prochains, sauf le weekend.
Alexis de Tocqueville fut lʼobservateur tranquille de cette gigantesque mutation. Lui aussi sʼinquiétait de la civilisation capitaliste qui était née de la Révolution, vitupérant contre le primat de la loi de lʼor : « et comme l’argent, en même temps qu’il est devenu la principale marque qui classe et distingue entre eux les hommes, y a acquis une mobilité singulière, passant de mains en mains sans cesse, transformant la condition des individus, élevant ou abaissant les familles, il n’y a personne qui ne soit obligé d’y faire un effort désespéré et continu pour le conserver ou pour l’acquérir. L’envie de s’enrichir à tout prix, le goût des affaires, l’amour du gain, la recherche du bien-être et des jouissances matérielles, y sont donc les passions les plus communes. »[1]
Ce qui fondamentalement gênait Tocqueville, cʼétait le matérialisme. Celui de Diderot par exemple. Ses œuvres étaient pour lui de la « littérature dangereuse »[2]. Par-delà le matérialisme dʼun Diderot, ce que Tocqueville pourfendait cʼétait le socialisme, qui dʼaprès lui puisait sa source dans lʼécole des physiocrates dʼHolbach et dʼHélvetius.
Auxquels il rajoute les économistes, Morelly[3] et Quesnay : « On croit que les théories destructives qui sont désignées de nos jours sous le nom de socialisme sont dʼorigine récente ; cʼest une erreur : ces théories sont contemporaines des premiers économistes. »[4] Au fond, pour Tocqueville, qui était plus conservateur que libéral, libéralisme et socialisme sont les deux face dʼune même pièce, une sorte de Janus, dont la dialectique a régné sur le second XIXème siècle et le XXème siècle, en particulier de 1945 à 1991, autrement dit lors de la Guerre froide.
Frédéric Bastiat était un libéral, lui, authentique, pur sucre. Il se rangeait lui-même dans la classe (au sens fort du terme, à relier avec lʼexpression avoir la classe) des économistes. Et il sʼen prenait autant aux socialistes quʼaux catholiques, posant une dialectique bicéphale de lʼinimitié (Julien Freund, le plus grand des fidèles de Carl Schmitt choisirait plutôt le vocable dʼhostilité) : « Les socialistes disent : Les grandes lois providentielles précipitent la société vers le mal ; il faut les abolir et en choisissant dʼautres dans notre inépuisable arsenal.
Les catholiques disent : Les grandes lois providentielles conduisent la société vers le mal ; il faut leur échapper en renonçant aux intérêts humains, en se réfugiant dans lʼabnégation, le sacrifice, lʼascétisme et la résignation.
Et au milieu de ce tumulte, de ces cris dʼangoisse et de détresse, de ces appels à la subversion ou au déséspoir résigné, jʼessaye de faire entendre cette parole devant laquelle, si elle est justifiée, toute dissidence doit sʼeffacer : Il nʼest pas vrai que les grandes lois providentielles précipitent la société vers le mal. » [5] [Suite et FIN demain mardi 19] ■
[1] Alexis de Tocqueville, LʼAncien régime et la révolution, Paris, Folio p. 94.
[2]Ibid., p. 245.
[3]Lire à ce sujet son Code de la Nature (1755), ouvrage méconnu des Lumières, pourtant fondamental.
[4]Ibid., p. 254.
[5]Frédéric Bastiat, Harmonies économiques, t. 6, Paris, Guillaumin et Cie, 1879, p. 11.
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À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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