PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro du 15 mai, Mathieu Bock-Côté va bien plus loin que la désormais banale critique de la Loi Avia. Selon sa méthode, il en recherche le noyau idéologique pour le mettre en évidence, le décortiquer, le dénoncer, du coup, de façon plus légitime. Nous écrivions en commentaire de ses dernières chroniques publiées dans ces colonnes : « À chaque problème, sa réflexion (est) spécifique, mais de façon toujours radicale, si l’on accepte de prendre ce mot en son vrai sens qui n’est pas exagération, extrémisme, exaltation vulgaire mais bien plutôt : à la racine. Il nous semble que c’est là l’apport propre de Mathieu Bock-Côté. Il nous paraît aussi que dans ces temps sans boussole, la radicalité prise en ce sens, le recours aux racines, est un bien précieux. » Et c’est sans-doute là que l’on peut trouver un premier début de réponse aux interrogations légitimes que suscitent en beaucoup d’esprits contemporains les défaillances de notre démocratie.
La lutte contre la haine autorise l’expulsion de l’espace public des contradicteurs du progressisme et inhibe les timorés, qui se réfugient dans l’autocensure
Ainsi, la loi Avia a bien été votée. Officiellement, elle prétend civiliser les réseaux sociaux en luttant contre la «haine» qui s’y déverse. Elle favorisera, plusieurs l’ont noté, une culture de la délation, chacun surveillant son prochain et étant invité à le dénoncer grâce à un bouton dédié, le citoyen éclairé prenant désormais les traits du délateur zélé. Les bandes militantes feront la loi à coups de signalements pour transformer leurs aversions idéologiques en interdictions. Les réseaux sociaux devront pratiquer la censure préventive des contenus potentiellement problématiques, sans quoi ils seront condamnés à des amendes très lourdes.
Cette loi s’inscrit dans le plus vaste projet d’un resserrement des conditions d’entrée dans l’espace public par le régime diversitaire, qui entend dominer la mise en récit de la vie collective. On se rappellera qu’il y a peu de temps le gouvernement flirtait avec l’idée de construire une représentation officiellement certifiée du réel au nom de la lutte contre les « fake news », ces dernières désignant souvent une lecture des événements ne versant pas dans la célébration emphatique du vivre-ensemble. La parole publique doit être disciplinarisée et la liberté d’expression, formatée.
Mais la critique de la loi Avia sera bien incomplète si elle ne vise pas son noyau idéologique, soit sa prétention à lutter contre la « haine ». En son nom, c’est le désaccord politique qu’on cherche de plus en plus ouvertement à proscrire. Une bonne partie du travail de la gauche idéologique, à travers sa mainmise sur les sciences sociales universitaires, consiste à reconsidérer en propos haineux toute critique appuyée du régime diversitaire.
On connaît la rhétorique. Qui critique l’immigration massive sera accusé de racisme. Qui fait le procès du multiculturalisme sera suspecté de xénophobie et qui rappelle la difficile intégration de l’islam en Occident sera taxé d’islamophobie. Qui s’oppose à la théorie du genre sera quant à lui suspecté de transphobie. Et ainsi de suite. La liste des haineux ne cesse de s’allonger. La lutte contre la haine autorise l’expulsion de l’espace public des contradicteurs du progressisme et inhibe les timorés, qui se réfugient dans l’autocensure.
Ce n’est pas d’hier que le régime diversitaire cherche à se délivrer de ses contradicteurs. Le pacte de Marrakech en 2018 entendait ainsi censurer les discours critiques de l’immigration, cela au nom de l’ouverture à l’autre. Il invitait les gouvernements à cesser «d’allouer des fonds publics ou d’apporter un soutien matériel aux médias qui propagent systématiquement l’intolérance, la xénophobie, le racisme et les autres formes de discrimination envers les migrants, dans le plein respect de la liberté de la presse». La lutte contre les discriminations pave le chemin à un autoritarisme à prétention vertueuse.
Faut-il ajouter que la lutte contre la haine est à sens unique? Car pour le régime diversitaire, la haine du réactionnaire, incarné dans la figure maléfique de l’homme blanc hétérosexuel, passe pour la forme achevée de l’amour de l’humanité. Les séances rituelles de défoulement médiatique où certains intellectuels sont dénoncés à coups de pétitions et de poursuites devant les tribunaux relèvent d’un dispositif persécutoire rappelant les deux minutes de la haine imaginées par Orwell dans 1984. Lorsque la presse «recommandable» s’acharne contre un philosophe ou un essayiste en cherchant à tout prix à le marquer à «l’extrême droite» pour l’infréquentabiliser, ne verse-t-elle pas dans la haine idéologique?
Quel terme utiliser quand un homme politique assimile le populisme à une lèpre et les électeurs populistes à des lépreux? Que penser de la nazification de l’adversaire toujours renvoyé aux «pires heures de notre histoire»? L’actualité confirme que cette logique pousse à la criminalisation du désaccord. Le bannissement du groupe Génération identitaire sur Facebook en témoigne. On peut critiquer les discours et les méthodes de ces militants: reste que leur expulsion au nom de la lutte contre la haine s’inscrit dans cette extension du domaine de la censure. Au même moment, la gauche racialiste se déploie sans risque sur les réseaux sociaux. Mieux: elle y règne. Que penser de cette asymétrie dans le traitement des «radicaux»? Ne fait-elle pas penser à la complaisance médiatique pour les milices violentes qui se réclament de « l’antifascisme » ?
Transformer en monstre son adversaire ne relève pas de l’éthique de la délibération démocratique. La restauration de la démocratie libérale passe par la réhabilitation d’une culture de la conversation civique. Mais rien ne semble plus éloigné de l’état d’esprit des croisés progressistes qui, pensant éradiquer le mal de la cité en en expulsant ceux qui ont le culot de ne pas penser comme eux, votent pour cela, sans honte, une loi néosoviétique. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Il ne faut pas s’étonner :
Les pays de l ‘Est ( » démocraties populaires » ), pour empêcher toute contestation ,
accusaient leurs opposants de fascisme et dés lors il devenait licite de s’ acharner . Cela suffisait , à dissuader .
Ici , en ce nouveau siècle et pour l’Ouest européen , l ‘ accusation de haine ( plus générale que l’accusation de fascisme ) peut , de la même manière , servir à la démocratie dite libérale à faire taire . En corollaire , ce sont les élus de cette démocratie , avec leurs auxiliaires (associations stipendiées, comités , groupes d’ intérêts , de pressions ) qui définissent ( définiront ) ce qui est haineux et ce qui ne l’est pas . Cela ira au delà de la boue des réseaux sociaux .
Comme toujours, la pensée de Mathieu Bock-Côté est d’une rare limpidité, et ses démonstrations, d’autant plus insupportables aux yeux de ses contempteurs.
Qu’il soit l’un des bretteurs francophones les plus redoutables accule la meute des valets du politiquement correct à la seule solution »efficace » : la Loi Avia. CQFD.
Ce texte législatif est une injure à toutes les grandes consciences qui ont apporté à ce pays, esprit, spiritualité, finesse et intelligence. il faudra bien un jour que la France s’arrache à ce cauchemar !