Par François Schwerer.
L’Union européenne, qui ne sert à rien pour juguler la pandémie et en a même, préventivement, aggravé les effets, veut se servir de cette crise pour renforcer son contrôle inutile…
Alors que les Français entament leur quatrième semaine de confinement, nos hommes politiques semblent surtout préoccupés d’une chose : l’Union européenne. C’est le président Macron qui, le 26 mars, expliquait à l’occasion du sommet européen tenu par visioconférence : « Ce qui est en jeu, c’est la survie du projet européen. […] Le risque, c’est la mort de Schengen ». C’est Jean-Pierre Raffarin qui, deux jours plus tard, s’inquiétait : « La situation est dangereuse, le virus menace l’existence de l’Europe ». C’est Jacques Delors qui constatait avec amertume : « Le climat qui semble régner entre les chefs d’État et de gouvernement et le manque de solidarité européenne font courir un danger mortel à l’Union européenne »… Ce qui explique cette surenchère dans le pessimisme c’est que, depuis le début de la crise actuelle, l’Union européenne brille par son absence la plus totale[1]. Et cela, malgré les multiples incantations du président français de la République.
Que reste-t-il des accords de Schengen ?
Le 26 mars, après avoir longuement expliqué que fermer les frontières ne servait à rien, le président Macron avait demandé d’installer un contrôle aux frontières de l’espace Schengen. Sans succès. Le seul à avoir alors répondu, par avance, à son appel a été le président Trump lorsque, l’espace d’une journée, il avait interdit d’accès au sol américain les Européens provenant des pays appartenant à l’accord de Schengen. Le lendemain, il l’avait étendu à tous les Européens, Britanniques compris.
L’Allemagne avait déjà fermé ses frontières avec l’Italie, puis avec la France. Par la suite, plusieurs pays de l’Europe du Nord ont pris une même mesure. À l’inverse, les Polonais et les Autrichiens exceptés, tous ont laissé les Grecs faire face, seuls, à l’invasion migratoire décidée par la Turquie. Le 13 avril le président français a réitéré sa demande de fermer les frontières extérieures de l’espace Schengen, faisant semblant d’ignorer que « nos » partenaires ne laissent pas les Français entrer sur leur territoire.
En fait, une seule chose a fait réagir les fonctionnaires de Bruxelles et le Premier ministre Luxembourgeois. Les uns ont simplement écrit : « La pandémie de Covid-19 perturbe fortement le 25e anniversaire de l’entrée en vigueur des accords de Schengen, ce jeudi 26 mars. » Quant à l’autre, il n’a rien trouvé de mieux que de s’insurger contre la décision de fermer les frontières prises par l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche, les exhortant à « rétablir Schengen dans les meilleurs délais » car, dit-il, « la réintroduction de contrôles aux frontières communes entre certains pays ne peut être que ponctuelle et temporaire et elle doit se faire en conformité avec les traités ». Devant les décisions prises en ordre dispersé, la Commission européenne a fini par décider de fermer les frontières de l’espace Schengen, mais uniquement pour un mois, du 17 mars au 17 avril, et pour les déplacements non essentiels.
Que reste-t-il du traité de Maastricht ?
Sur le plan économique, ce n’est pas mieux. Les accords de Maastricht, déjà mis à mal depuis longtemps avec les crises économiques à répétition, ont purement et simplement volé en éclats. Il ne reste rien de la discipline budgétaire imposée à tous les États ayant adopté la « monnaie unique » ni des règles fixées à l’action de la Banque centrale européenne. Lorsqu’elle est intervenue pour la première fois dans le débat, Christine Lagarde a déclaré qu’elle n’avait pas à s’occuper de la différence de « spread » entre les divers pays européens, ce qui a aussitôt entraîné un nouveau plongeon de la Bourse… et conduit neuf pays (France, Italie, Espagne, Portugal, Slovénie, Luxembourg, Grèce, Belgique et Irlande) à réclamer la mise en œuvre, au-delà du MES (Mécanisme européen de stabilité), d’emprunts communautaires, baptisés « coronabonds ». « Nous devons travailler sur un instrument de dette commun émis par une institution européenne pour lever des fonds sur le marché », ont écrit, le 25 mars, les neuf chefs d’État concernés au président de l’Union européenne, le Belge Charles Michel. Mais ce mécanisme qui avait été créé en 2012 pour empêcher la Grèce de quitter le giron de l’euro n’est certainement pas adapté à la crise actuelle. Il ne faut donc pas s’étonner du fait que les Allemands et les Néerlandais ont répondu par une fin de non-recevoir. Sans oublier qu’une telle demande est une atteinte à la souveraineté de chacun des membres de l’Union européenne dans la mesure où il obligerait les États bénéficiaires des fonds ainsi obtenus de respecter une discipline imposée par les garants de la dette commune, notamment l’Allemagne.
Que reste-t-il des quatre libertés fondamentales ?
Il convient de rappeler que l’Union européenne se veut essentiellement un « espace » dans lequel sont placées au-dessus de tout les quatre libertés fondamentales que sont les libres circulations des biens, des services, des hommes et des capitaux. Or, les trois premières ont été plus ou moins annihilées par les diverses mesures de fermeture des frontières et de confinement. Au stade actuel, il ne reste plus véritablement en vigueur qu’une seule liberté : la libre circulation des capitaux ! Comme les marchés financiers sont fortement interconnectés et fonctionnent sans flux matériels réels, cette libre circulation ne concerne pas que l’Union européenne, mais le monde entier. Ceci est révélateur de la seule chose qui compte vraiment dans le monde d’aujourd’hui, et l’Europe en particulier : la finance.
À quoi joue l’Union européenne ?
L’Allemagne a refusé d’aider ses voisins et d’abord l’Italie qui se débattait pourtant avec une crise sanitaire dramatique. Elle a fermé ses frontières et mis l’embargo sur les matériels de protection et d’assistance respiratoire dont ses voisins avaient besoin. Si par la suite les médias ont largement communiqué sur le fait que les Allemands ont accueilli chez eux une vingtaine de malades, ils oublient que l’Allemagne, ayant imposé à ses partenaires une politique monétaire qui lui était favorable (euro oblige), a ruiné le système hospitalier de tous les pays de l’Europe du sud. Elle y est ainsi devenue quasiment le seul fournisseur d’appareils respiratoires. C’est ce qui explique qu’au début de la crise elle disposait de six fois plus de lits de réanimation que la France ou l’Italie et d’une importante possibilité de test alors qu’elle avait officiellement moins de cas graves à soigner.
Profitant de cette désunion, la Russie et la Chine – et aussi Cuba – ont apporté à l’Italie d’abord, à la France ensuite, une aide importante qui faisait cruellement défaut. Toutefois, il ne faut pas croire que la Russie et la Chine aient agi uniquement par solidarité ; ce qui se joue là est un épisode de la guerre géopolitique que ces deux pays livrent aux États-Unis et pourrait donc avoir des conséquences non négligeables, y compris sur l’équilibre de l’Union européenne. Mais au lieu de se préoccuper sérieusement de la situation sanitaire des pays membres, cette Union européenne se penche sur son élargissement à deux nouveaux pays, l’Albanie et la Macédoine du Nord que l’on veut accueillir quoique ne respectant pas les conditions en principe requises pour adhérer, et sur l’exclusion de la Hongrie, accusée en fait de privilégier les moyens de protéger sa population sur la discipline européenne.
L’ensemble de ces observations montre que s’il existe des institutions communes (Commission européenne, Cour de Justice de l’Union européenne, Parlement européen, etc.) il n’existe pas de volonté commune des États constituant cet ensemble hétéroclite et il n’existe pas non plus de « peuple » européen. Chaque État a suivi sa propre politique, en fonction de ses priorités, de son taux d’équipement en matériels divers et de la vitesse à laquelle l’épidémie s’est propagée chez lui.
Quand le président Macron explique, le 13 avril, qu’il faut refonder l’Europe et « bâtir des solidarités et des coopérations nouvelles », on peut se demander s’il a vraiment en tête ce que souhaitent les Français ou s’il appuie, sans le dire, la position de l’ancien Premier ministre britannique, Gordon Brown, lequel appelle à la disparition pure et simple des nations. Dans une déclaration au Guardian, il avait constaté que « cette affaire ne peut pas être réglée au niveau d’un seul pays ». C’est pourquoi il proposait « une réponse globale coordonnée » et donc la mise en place d’un « gouvernement global », qui devrait aussi se charger des questions économiques. Il rejoignait ainsi Jacques Attali qui, voilà plus de dix ans, appelait de ses vœux une pandémie, seule capable à ses yeux de conduire rapidement à un gouvernement mondial ! ■