Il fut un temps pas si lointain – le rédacteur de ces lignes l’a vécu – où il était assez mal vu à l’Action française – parfois interdit – de citer Georges Bernanos. C’était la survivance de querelles anciennes que l’on n’avait pas su surmonter. Les choses ont bien changé aujourd’hui. Bernanos est très présent, très commenté, très louangé aujourd’hui à l’A.F. et, bien-sûr, au-delà. Mais en parle-t-on toujours en connaissance de cause ?
Je Suis Français a choisi de remonter aux sources de la relation entre Georges Bernanos, Charles Maurras et l’Action française dans son ensemble, en publiant de larges extraits de l’évocation qu’en donne Henri Massis* dans son Maurras et notre temps. Massis a vécu les événements qu’il relate de très près, il en a été l’un des acteurs, très proche des protagonistes. C’est, à notre sens, une source incontournable pour qui veut savoir et comprendre.
* Henri Massis – Wikipédia
« Nous avons besoin de vous, Bernanos ! »
Bernanos avait d’abord voulu faire, front, servir la cause nationale, la cause de l’Eglise ! Ah! il en avait écrit des articles pour répondre à toutes les collaborations qui s’étaient alors offertes à lui, et Dieu sait ce qu’écrire un « papier » lui coûtait de peine et de temps !
Et puis, il avait « fait des conférences », il avait parlé à la Sorbonne, en Belgique, en Suisse, en Angleterre ! Il était même allé — lui, Bernanos ! jusqu’à participer à des palabres internationales pour appeler les peuples d’Occident à une révolution spirituelle contre tous les totalitarismes, contre la tyrannie technocratique, contre tous les mensonges du monde moderne ! Oui, pendant près d’un an, il s’était éreinté tout son saoul, et il l’avait barattée sa substance grise ! Heureusement, ça n’avait pas duré longtemps !
Il aurait d’ailleurs dû le prévoir ! Ceux-là mêmes qui lui avaient dit : « Nous avons besoin de vous, Bernanos ! » (et il s’était laissé faire, l’imbécile !) ceux-là avaient été les premiers à le laisser tomber ensuite, ses « amis » catholiques d’abord — naturellement ! C’était ça l’Eglise, c’était ça la France nouvelle ! Quant à la presse de la Libération, Bernanos en avait tâté : eh bien, elle était propre, leur presse ! Pire encore que la « presse pourrie »! Elle dilapidait par milliards les fonds qu’elle avait volés ! Et quelles combines, quelle bande de salauds !
Plutôt l’exil que de lutter avec ces types-là pour copains —Bernanos ne le leur avait pas envoyé dire. Non, impossible de respirer dans un milieu pareil. Autant être fusillé tout de suite… « D’ailleurs, pensait Bernanos, c’est partout qu’on respire mal… La médiocrité est partout… Dans ce monde hagard, impossible aux hommes simples de ne pas grossir le rang des imbéciles ! Mais quand le spectacle de la médiocrité ne nous torturera plus, c’est que nous serons devenu nous-même médiocre des pieds à la tête. Non, ils ne m’auront pas, moi, Georges Bernanos ! » La décision en était prise. Cette fois, il irait en Afrique, en Afrique du Nord, et il attendrait, il attendrait que se réglât le destin de son pays…
Ce destin, Bernanos le voyait sous les plus sombres couleurs. Dès qu’il fut en Algérie, il s’y répandit en prophéties désastreuses, tenant sur tout et sur tous des propos tels qu’ils ne laissèrent pas d’inquiéter les autorités officielles chargées de l’accueillir. Aussi prirent-elles le prudent parti de l’isoler, en le faisant séjourner à une cinquantaine de kilomètres de la Ville blanche, dans une délicieuse oasis où il n’avait d’autres compagnons que… des singes ! Puis d’Alger Bernanos partit pour la Tunisie; il résida d’abord à Hammamet, à Gabès ensuite, où il essaya de reprendre sa vie, son oeuvre, de se recueillir, de mettre un peu d’ordre dans ses affaires, sentant sa mort prochaine.. Un an plus tard, atteint d’un cancer au foie, on le ramènera d’urgence à Paris, où l’on tentera une opération désespérée… Il ne restera plus à Bernanos qu’à « mourir toute sa mort ». (À suivre) ■