Par Rémi Hugues.
Dans un article publié par Le Monde, le 21 janvier dans le contexte de l’affaire Duhamel, Tobie Nathan écrit ceci : « Et que dire de la création même de l’humanité, née à partir du même couple originel ? »
Sur ce sujet, JSF a publié [27.05/15.06.2020] un dossier écrit par Rémi Hugues : Adamisme et évolutionnisme où il développe une vision alternative à la conception traditionnelle de la création de l’homme, qui résout ce problème de l’inceste concernant les descendants du couple primordial.
L’affaire Duhamel confère un intérêt actualisé à cette suite d’articles que nous reprenons au fil des jours. On ne saurait mieux définir la réflexion de fond que propose Rémi Hugues qu’en se référant au dialogue imaginé par Vladimir Volkoff, dialogue repris ci-après comme en exergue de cette série.
Igor – Parce que je sais que vous autres avez raison. À propos, dites-moi, cette histoire de pomme, de serpent… Comment faut-il comprendre… ? Pardonnez-moi lʼexpression – je ne sais sʼil est décent de lʼemployer en votre présence : est-ce une histoire… sexuelle, ou quoi ?
Prêtre – Cʼest un mythe très mystérieux et très vénérable qui nous apprend le premier usage que lʼhomme a fait de sa liberté : il sʼest blessé avec. »
Vladimir Volkoff, Le retournement, [Paris, Julliard / Lʼâge dʼHomme, 1979, p. 294.]
Passons maintenant au lamarckisme, qui repose sur le principe de lʼhérédité des caractères acquis, et qui a été réfuté par August Weissmann.
Celui-ci « a établi que tout organisme est porteur de deux sortes de cellules : celles qui constituent son corps individuel, le soma, et dʼautre part les cellules reproductrices qui forment le germen. Les transformations que le soma subit pendant son existence ne peuvent agir sur les cellules germinales. Le patrimoine héréditaire demeure donc inchangé à travers les générations. Les caractères de chaque être vivant proviennent de sa lignée germinale et ne gardent aucune trace de toutes les modifications quʼa pu éprouver le soma de leurs ancêtres. Les caractères héréditaires sont transmis par les gènes des chromosomes de cellules spécifiques. Lʼoriginalité de chaque individu correspond à des combinaisons variées de ces gènes, dans les limites dʼun patrimoine spécifique. »[1]
Il y a donc une variété possible des caractères, mais dans une certaine limite.
Pour revenir au paradigme darwinien, il sʼagit de comprendre que celui-ci soutient que « les chromosomes dʼune espèce sont susceptibles de subir à un moment donné des variations brusques, des mutations. […] Les mutations seraient donc les seules variations héréditaires. Les néo-darwiniens expliquent tout naturellement lʼévolution en admettant que la sélection naturelle conserve les mutations favorables. […] Mais le néo-darwinisme a été lʼobjet de multiples critiques. Les mutations sont-elles un facteur de lʼévolution ? La drosophile est par excellence un insecte mutant. Or, nous dit Bounure, la paléontologie nous enseigne que lʼespèce drosophile nʼa pas évolué depuis lʼépoque tertiaire ! Les mutations connues ne portent que sur des détails. Jamais elles nʼont fait apparaître un organe nouveau. »[2]
Les savants modernistes, on le voit, sont eux-mêmes réservés quant à la véracité scientifique des deux piliers de lʼévolutionnisme : « le lamarckisme nʼest quʼune hypothèse, tandis que le néo-darwinisme a au moins pour lui le fait expérimental des mutations, dont la portée, il est vrai, est bien limitée. Associer tous ces facteurs dans lʼéclectisme bienveillant dʼune théorie synthétique nʼest peut-être, dʼautre part, quʼun moyen de masquer notre ignorance. »[3]
Néanmoins, si lʼon en revient à lʼadamisme, à la Tradition en somme, il y a aussi quelques difficultés à démêler. Ce problème épineux des origines de lʼhomme a été soulevé – est sorti du bois de lʼÉden si lʼon peut dire – par Isaac de La Peyrère, un bordelais dʼorigine portugaise du XVIème siècle, avocat et diplomate.
On peut émettre lʼhypothèse quʼavant cela il avait été maintenu secret à lʼintérieur des milieux rabbiniques, en particulier ceux imprégnés de kabbale, ce savoir qui aurait été directement, bouche contre oreille, transmis par Dieu, soit à Adam, soit à Moïse – cela varie selon les écoles – ; il y a même une tradition qui explique que cʼest par lʼintermédiaire de lʼange déchu, lʼarchonte, Azazel, que les humains lʼauraient reçu.
Face à ses persécuteurs, cependant, Jésus-Christ mentionna cela : « Nʼest-il pas écrit dans votre Loi : Jʼai dit : vous êtes des dieux ? » (Jean 10 : 34), faisant implicitement allusion à ce passage des écrits vétéro-testamentaires :
« Ils n’ont ni savoir ni intelligence, Ils marchent dans les ténèbres; Tous les fondements de la terre sont ébranlés. J’avais dit : Vous êtes des dieux, Vous êtes tous des fils du Très-Haut. Cependant vous mourrez comme des hommes, Vous tomberez comme un prince quelconque.… » (Psaume 82, 5-7).
Or, qui, dans ces temps dʼirréligiosité absolue, peut-il comprendre cela ?
« Faut-il d’abord leur briser les oreilles, afin qu’ils apprennent à entendre avec les yeux ? Faut-il faire du tapage comme des cymbales et des prédicateurs de carême ? Ou n’ont-ils foi qu’en les bègues ? », raille Friedrich Nietzsche dans le prologue dʼAinsi parlait Zarathoustra. Sauf que la fonction objective du penseur allemand a été précisément dʼintégrer à la philosophie les déviances anthropologiques énoncées par Darwin, rôle dévolu, de lʼautre côté du Rhin, à peu près en même temps, à un grand philosophe au patronyme également plus anglo-saxon que latin, le Français de branche Henri Bergson, et sa théorie des sauts, développée notamment dans Lʼévolution créatrice (1907).
Lʼésotérisme est au fondement de la religion judaïque, dʼoù lʼexcellent recueil philosophique de Leo Strauss La persécution et lʼart dʼécrire, que chacun qui sʼessaye à penser le réel pour mieux le comprendre devrait lire attentivement.
En outre, dans le corpus vétéro-testamentaire, on trouve cette phrase : « Dieu a décidé dʼhabiter la nuée obscure » (1 Rois 8,12). Cʼest une apologie de lʼésotérisme, de lʼart de délivrer un message de façon cryptée. À ce propos il faut souligner une chose importante : beaucoup se trompent en voyant dans ce terme un contenu. Cʼest en réalité un contenant.
Tel est lʼun des apports décisifs de René Guénon : le discours peut être autant « nomiste » (judaïsme, christianisme, islam, et autres traditions, comme lʼhindouisme ou lʼhéllénisme, pour plus dʼinformations sur ce point se rapporter aux travaux de lʼanthropologue Mircea Eliade, lʼanti-Frazer) quʼ« antinomiste » (les œuvres de la franc-maçonnerie spéculative pour aller vite, si lʼon se limite à la période moderne, mais plus largement, toutes les créations simiesques impulsées par lʼarchôn tou aîsnos toutou, ou princeps hujus mundi, ce « seigneur du siècle présent »[4] à propos duquel Carl G. Jung, dans Psychologie et alchimie, indiquait quʼil était « un corybante dionysiaque ayant atteint, de manière quelque peu inattendue, à des honneurs princiers. »[5] [À suivre, lundi 1er juin) ■
[1] Denis Huisman, André Vergez, op. cit., p. 213.
[2] Idem.
[3] Ibid., p. 215.
[4] Carl G. Jung, Réponse à Job, Paris, Buchet/Chastel Éditions, 2001, p. 274.
[5] Psychologie et alchimie, Paris, Libella, 2014, p. 207.
* Parties précédentes
[1] [2]
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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