C’est un fait : Georges Bernanos ne connaît pas cet oubli, ce purgatoire, qui frappe nombre d’auteurs illustres de leur vivant.
Mais sa présence incontestable dans le monde intellectuel français d’aujourd’hui, en tout cas dans un large éventail de tendances, ne nous paraît pas impliquer nécessairement qu’on le lise vraiment autant que pourrait le laisser supposer le nombre de fois où on le cite. Aurions-nous aussi affaire à un phénomène de mode dans les milieux où Bernanos est invoqué ? Quelle est aujourd’hui l’intensité, l’étendue, la qualité des études bernanosiennes, universitaires ou extra universitaires, cela reste à évaluer.
Ce qui nous paraît en revanche évident, c’est qu’à raison de ses contradictions, voire de ses errances, de ses engagements successifs, de ses fulgurances parfois prophétiques, toujours passionnées, Bernanos sert de porte-drapeau à diverses causes : la cause patriotique, catholique – de droite comme de gauche – antimoderne, écologiste, hostile aux dictatures, mais, jusqu’au bout, toujours aussi antidémocrate et toujours royaliste… À cette aune, Bernanos court surtout le risque d’être instrumentalisé post mortem par les uns et par les autres comme il souffrit de l’être de son vivant et dut s’en dégager parfois violemment. Pour, chaque fois, revenir à ses engagements originels, en fait jamais abandonnés.
En tout cas, cette présence de Bernanos malgré ce qu’elle peut comporter partiellement de superficiel ou d’utilitaire (telle est souvent la postérité des grands auteurs) nous paraît une réalité dont nous croyons qu’on doit tenir compte.
Il y a, surtout, qu’il demeure une étoile majeure au firmament des lettres françaises du siècle passé. Sans que quiconque puisse mettre en doute qu’il ait toujours été un grand écrivain nationaliste, royaliste, passionnément attaché, comme Péguy, à l’Ancienne France, que ce soit avant ou après sa rupture avec l’Action Française.
Un dernier point nous intéresse enfin : c’est l’attrait que Bernanos exerce sur la jeunesse royaliste, c’est à dire, en fait, sur la jeunesse d’Action française. Comme, d’ailleurs, sur l’école maurrassienne en général, dont, nous l’avons dit, il ne s’est jamais vraiment détaché. Le loue-t-on trop après l’avoir trop longtemps voué aux gémonies ? Ne passe-t-on pas trop naïvement d’un extrême à l’autre ? Mais, au-delà, est-t-il possible d’envisager l’œuvre, les engagements, la personnalité de Bernanos avec objectivité, c’est à dire tels qu’ils ont été ? Il nous a semblé utile d’aborder cette question. Si possible de l’éclairer.
Nous l’avons fait – ou tenté de le faire – grâce aux passages de son Maurras et notre temps* – son chant du cygne, dit Boutang – où Henri Massis parle de Georges Bernanos. Ils furent des amis très proches et, selon leurs termes, ils ont été comme des frères. Ils se sont côtoyés, parlé, beaucoup écrit, beaucoup confiés l’un à l’autre, tout au long de leur vie, depuis leur jeunesse jusqu’à la mort de Bernanos.
C’est donc toute la vie de Georges Bernanos que relate Massis et qu’il tente d’expliquer, dans les textes – malaisés à trouver aujourd’hui – que JSF a publiés. Après leur jeunesse catholique, barrésienne, nationaliste, royaliste et maurrassienne, les grandes affaires de leur vie furent d’abord – comme pour Céline, Drieu et tant d’autres – la Grande Guerre, ensuite la condamnation de l’Action française par le Vatican en 1926, où Bernanos défendit Maurras magnifiquement, puis la grande et tumultueuse rupture entre ces deux derniers, la guerre d’Espagne, l’effondrement français de 1940, l’Occupation et la Résistance, les exils de Bernanos et sa mort en 1948.
Les récits et les commentaires d’Henri Massis sont donc ceux d’un témoin de première main. Nous ne prétendons pas qu’ils doivent être tenus pour tout à fait objectifs. Dans l’affrontement Bernanos-Maurras qui suivit leur rupture, Massis est resté fidèle à Maurras et il porte sur les engagements ultérieurs de Bernanos un regard et des jugements très critiques. Mais l’amitié qui liait les deux hommes ne s’est pas démentie pour autant. « On ne pouvait pas ne pas aimer cet homme » écrit Massis. On peut, croyons-nous, considérer qu’il fut un ami lucide et qu’à ce double titre son témoignage est incontournable. C’est pourquoi nous avons voulu le mettre à la disposition de ceux pour lesquels Bernanos tient à cœur.
Notre intention est bien de rassembler ces textes en un seul document – façon d’être utiles – qui restera toujours consultable sur Je Suis Français. G.P.
* Maurras et notre temps, La Palatine, Plon, 1951