Par Xavier Raufer.
Xavier Raufer donne à Boulevard Voltaire, à Atlantico et divers autres médias des entretiens et des articles réguliers – celui-ci (daté de mail) vient de paraître – contributions intéressantes pour leur expertise minutieuse des divers domaines de la délinquance. Autant de signes sur l’état de notre société et de la déliquescence du Pouvoir. Nous ne pouvons manquer de nous en tenir informés.
Xavier Raufer fait ici le tableau précis et détaillé des trafics de stupéfiants sous l’effet du confinement dans les cités et quartiers gangrenés par cette activité,. Et sa conclusion est tout à fait effrayante. Elle pose la question de la compétence du Régime, de sa légitimité, et de notre avenir national. Il faut lire !
La physique connaît les expériences sous « cloches à vide » : par exemple, ont créé le vide dans un espace pour y étudier la propagation du son. Pratique bien sûr inaccessible aux sciences humaines, surtout à échelle continentale.
Un pays entier – l’Europe même ! – sous cloche à vide ? Les voies et artères d’un pays ; ses espaces urbains ou ruraux ; ses paysages, côtes et mers, vides d’hommes, soixante jours durant ?
Impossible – exclu même des songeries hallucinées d’un savant sous LSD ou d’un dictateur mégalomane. Or c’est ce que le confinement du 16 mars au 10 juin a soudain (presque) imposé au monde développé. Cas inouï pour la France qui n’a jamais rien subi de tel en trois siècles – sauf peut-être, l’Île-de-France, au début de l’occupation allemande (juin-juillet 1940).Immense et inespéré laboratoire, cette France « sous cloche » permet aux sciences humaines ou naturelles de riches observations -l ‘épidémiologie, bien sûr ; mais période plus féconde encore pour la criminologie. Voici comment et pourquoi.
Discipline transversale, la criminologie intègre d’autres sciences humaines : philosophie (violence… peur…) ; histoire ; psychologie (passage à l’acte du criminel, etc.). Plus la sociologie (étude des entités illicites – clandestines), la statistique (mesure des infractions) ; enfin, la réponse sociale (critique des politiques criminelles, lois pénales, etc.).
Face aux autres sciences humaines, la criminologie subit cependant une additive et vaste difficulté : sans trêve et de leur mieux, ses sujets d’étude camouflent qui ils sont, ce qu’ils font et ce qu’ils manipulent : flux financiers, biens et services illicites, etc. L’économie ou la psychologie regorgent certes de cas où l’approche du réel est passivement ardue. Mais en criminologie, ce réel est activement caché : là est toute la différence. Toujours et partout, le crime parasite la société et l’économie légales et légitimes ; le deal de stupéfiants, les vols avec armes, le contrôle des fiefs criminels, le proxénétisme, les effractions, le racket, etc. Doivent être noyés dans la foule ; ce d’abord, dans l’espace urbanisé. De même pour toute logistique illicite : comment infiltrer des migrants clandestins en masse, ou des tonnes de stupéfiants, dans des ports confinés ou sur des autoroutes vides ? Impossible bien sûr. Vides d’habitants, les rues, autoroutes, places et quartiers de la plupart des villes d’Europe, désormais balayés jour et nuit par des caméras de surveillance, rendent l’activité criminelle de voie publique difficile voire impossible.
Pire encore : d’usage imperceptibles sans efforts massifs, ces signaux faibles et ruptures d’ambiance permettant le décèlement précoce des dangers et menaces sont aisés à repérer dans un monde « sous cloche ». Ce, en temps quasi-réel, privant le milieu criminel ou terroriste d’un classique atout de décalage temporel : dans le monde « normal », les bandits vont vite et les bureaucraties d’État sont lentes et lourdes.
En temps de confinement, rien de tel : tout peut se repérer, et vite. Ce que la criminologie a appris du confinement prendra des mois à se cristalliser ; à pouvoir s’écrire. D’ores et déjà cependant, deux premier enseignements sur l’emprise territoriale et la réactivité du banditisme périurbain, d’habitude immergé dans des quartiers inaccessibles aux non-résidents et aux forces de l’ordre.
EMPRISE
Fin mars, des journalistes veulent jauger le confinement, la vie sociale, etc., d’une cité « chaude » du nord de Marseille. Récit : « Un chouf[guetteur prévient de notre arrivée…Notre voiture, repérée sur le champ… D’autres « jeunes » observent à distance, prêts à intervenir… Avenue X trois « jeunes » masqués gèrent le barrage… Un journaliste interroge un habitant… Des guetteurs viennent écouter… une dizaine autour de nous, agités, intimidants… Nous partons vite, pourchassés par deux véhicules jusqu’à l’autoroute ».
Flagrant dans le vide ambiant, tel est le durable ordre paramilitaire imposé à des centaines de quartiers en France ; surtout, ceux restés calmes lors du confinement, du fait justement de l’emprise criminelle. Selon le classement même du Renseignement territorial, la France métropolitaine compte 58 quartiers et « grands ensembles » de niveau 1, les « Quartiers sensibles de non-droit » et 160 de niveau 2, les « Quartiers sensibles très difficiles ». 218 territoires au total dont la moitié au moins subit l’emprise de l’ordre paramilitaire ci-dessus décrit. Ordre qui suppose forcément une hiérarchie, des fonctions distinctes, une planification – la définition même du crime organisé par les instances internationales. Reste le partage de l’argent illicite généré. Et quel argent ! Pour les demi-grossistes livrant ces territoires par quantités de 50 à 300 kilos, la vente de trois tonnes de cocaïne procure de 70 à 100 millions d’euros. Or notre myope ministère de l’Intérieur et ses journalistes-chouchous font mine de s’affoler de quelques pétards, d’une agitation somme toute banale – mais ignorent au quotidien la présence en France de plus de cent impénétrables fiefs criminels, générant ces fortunes.
RÉACTIVITÉ
En France, le cannabis du Maroc et la cocaïne du nord de l’Amérique latine sont les stupéfiant-rois. Or à la mi-mars, désastre pour les importateurs de ces narcotiques, désormais associés : des frontières bouclée au sud (Maroc, Espagne) et au nord (Pays-Bas, Belgique). Fin des vols internationaux, donc du trafic de « fourmis « infiltrant la cocaïne en France. Le deal de rue s’arrête, hors cités criminalisées. Ailleurs, des dealers et clients sont sous l’œil des caméras, suspectes présences dans le vide ambiant. L’offre et la demande des stupéfiants en panne : fort risque pour les caïds de quartiers où nombre de familles et clans vivent des trafics illicites. Or tous s’adaptent vite au nouvelles « normes de marché »: livraisons pour les « bons » clients; trafic rabattu sur le fret maritime et les camionneurs qui livrent les populations confinées en biens essentiels. Là, encore et toujours, obligation d’une architecture transnationale hiérarchisée, dotée de capitaux massifs, d’un strict et clandestin partage des tâches ; enfin, d’une capacité de prévision et de réaction aux obstacles, pour maintenir la fluidité du trafic et l’optimale rentrée de l’argent.
Au bout du compte, une emprise et une réactivité hélas supérieures à celle des autorités françaises, regrettent (discrètement) ceux qui, dans l’ombre, pistent ces trafiquants. ■
La folie de l’impossible lutte contre les trafiquants mise en exergue par cette excellente chronique ; on ne peut pas plus interdire la drogue. dans les sociétés qui en demandent qu’on ne peut interdire la prostitution ou l’alcool( exemple éclairant de la ridicule prohibition étasunienne qui a contribué à faire exploser les bénéfices de la mafia).
La seule solution est évidemment la légalisation. Mais attention aux séismes de diverses magnitudes qui auraient lieu (auront, car la dépénalisation est inévitable) dans les cités qui ne vivent que de ça et qui sont grandes consommatrices de Mercédès, BMW, équipements électroniques de luxe, etc. La drogue fait vivre (au sens fort) toute une population, du gamin de 10 ans qui fait le guet à la vieillarde qui recèle.
À quoi sommes-nous prêts ? QUI AURA LE COURAGE D’ALLER VERS L’AFFRONTEMENT SANGLANT ?