Il nous faut suivre l’évolution du monde. Economique, politique, géopolitique. Et aussi, l’évolution des esprits qui l’observent avec quelque compétence, culture historique, connaissance du terrain, bon sens. Il nous semble que François Lenglet est de ceux-là. Son livre Tout va basculer paru il y a à peine un peu plus d’un an, a fait grand bruit. Sa thèse a été amplement médiatisée, discutée. La crise économique de grande ampleur que nous vivons n’a fait que confirmer et activer les évolutions qui déjà, selon lui, s’annonçaient. A-t-il en tous points raison ? Il serait dérisoire de le penser. Mais plus encore, pour ce qui nous concerne, de nous en désintéresser. Je Suis Français vous propose donc à dater de ce jour une suite d’analyses reprises de son ouvrage. Ce sont des citations limitées, choisies. Elles dessinent néanmoins les contours de sa thèse qui ne sont pas sans rapport avec notre propre ligne politique. Nous recommandons bien-entendu la lecture du livre lui-même.
L’échec libéral
Trente ans exactement après la chute du Mur de Berlin, il semble se produire un phénomène de la même ampleur, mais comme inversé.
Alors que les dictatures étaient tombées une à une en 1989, sans coup férir, au profit de la démocratie, ce sont aujourd’hui les démocraties qui sont ébranlées, avec leurs institutions et leurs principes mêmes — le vote, la représentation, le mandat. Alors que les frontières s’étaient effacées, libérant les illusions d’une gouvernance mondiale qui n’est jamais advenue, les voici qui sont rehaussées sur tous les continents, à la demande des peuples, pour rétablir l’espace national.
Comme en 1989, le mouvement est incroyablement rapide, et identique sur tous les continents. Pays occidentaux ou émergents, nations riches ou pauvres, démocraties ou régimes autoritaires, tous les pays connaissent désormais la même évolution : ceux qu’on appelle les « populistes » remportent les élections ou renforcent leur emprise. Ou encore, s’ils ne parviennent pas au pouvoir, gagnent en influence politique. Au point de déteindre sur le programme et les slogans des partis traditionnels en échec et désemparés.
Une marée mondiale. Le Brexit, au Royaume-Uni. La montée d’Alternativ fûr Deutschland, en Allemagne. La victoire de Matteo Salvini, leader de la Ligue, en Italie. Celle de Rodrigo Duterte, à la présidence des Philippines. Celle de Donald Trump, à la Maison Blanche de Washington. Celle de Jair Bolsonaro, au Brésil. La dérive autoritaire d’Erdogan, en Turquie, de Poutine, en Russie, de Xi Jinping, en Chine. Ou de Viktor Orban, en Hongrie. De l’exécutif polonais. En attendant les élections européennes, en juin prochain. Populiste ? Extrême droite ?
En apparence, chaque pays a développé sa propre variante. L’Américain Trump veut construire son mur le long du Mexique, le Philippin Duterte se déchaîne contre les criminels et les Anglais récusent les décisions de Bruxelles. Et l’on pourrait inventorier les différences dans les programmes qu’ils entendent appliquer chez eux. Trump affiche une sorte de libéralisme au plan économique et fiscal que récuserait une Le Pen. Mais tous ont un point commun essentiel : la volonté de rétablir les frontières et la souveraineté nationale.
Cette crise politique ne se résume pas à une banale alternance, qui ferait passer le pouvoir d’une main à l’autre dans les classes politiques. Car les partis traditionnels se sont affaiblis. À la fin 2018, quatorze pays sur les vingt-huit que compte l’Europe étaient gouvernés par des coalitions de partis minoritaires, souvent hétérogènes.
L’effondrement de la social-démocratie est particulièrement spectaculaire, qui avait régné sur l’Europe du Nord et son modèle social. Les syndicats ont perdu prise. Les élus ne savent répondre ni à l’insatiable demande de transparence, ni à la demande d’assistance. Le soupçon de conflit d’intérêts à leur endroit est tel que lors de la dernière élection présidentielle française, nombre de candidats avaient inscrit à leur programme le tirage au sort d’une partie des représentants du peuple — s’en remettre au hasard, ou la négation absolue de la vie politique et du vote démocratique. Comme si le loto était plus sûr que le choix des peuples !
Les mouvements populaires ne semblent pas avoir d’autre finalité que l’expression d’un cri de haine ou de désespoir. Le Brexit ne trouve ainsi pas de débouchés concrets, à cause de l’incroyable médiocrité de la classe politique britannique. Le mouvement des gilets jaunes menaçait ses représentants dès qu’ils sortaient la tête, et s’est trouvé incapable de s’organiser pour conduire des négociations avec le pouvoir, formant une révolte à la fois victorieuse et inaboutie, aux revendications dispersées et contradictoires. La contestation vit au rythme des réseaux sociaux, de ses émotions et de ses rumeurs.
Plus grave encore, c’est la raison elle-même qui est contestée, et avec elle les faits observables, qui servaient naguère d’ancre a débat politique. Les mesures — les chiffres de l’économie comme le pouvoir d’achat ou l’indice des prix par exemple — sont récusées, parce que soupçonnées de servir les Intérêts d’un émetteur qui travestit la vérité. C’est l’expérience individuelle, le « ressenti », qui se substitue aux faits ou sert à les contrecarrer. Les communautés se bâtissent autour de ces réalités fugaces, comme ‘dans des bulles, qui interdisent toute interaction autre que l’insulte ou la violence. (A suivre, demain jeudi). ■
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N’est ce tendancieux de parler de » dérive autoritaire » de Poutine , Erdogan , Xyjinping , Viktor Orban ?
Outre le fait que ces pays ne se peuvent comparer ; pour ne pas dire qu’en bien des points ils s’opposent ou s’opposèrent , le choix du mot » dérive » est péjoratif . Ces pays sont en fait contre le libéralisme » dégoûtant » .
Le libéralisme n’est que la deuxième face de la médaille avec le marxisme dont , par ailleurs , il sait bien faire le lit : quand tout va mal , aprés qu’il ait tout mis sans dessus – dessous , il s’enfuit laissant le champ libre au terrorisme rouge .
C’est la leçon de la Révolution française et aussi celle de l’ installation du bolchévisme en Russie . Faudrait il l’ oublier ?
Nous savons tous tout ça. Et, bien-sûr, nous n’avons pas à oublier nos principes, ni les origines des vices du monde dit moderne. Cela étant, je ne crois pas qu’il faut chercher des éléments de doctrine politique chez Lenglet. Il est vrai qu’il lui arrive d’utiliser le vocabulaire ambiant. Mais il décrit et analyse les évolutions en cours ou une partie d’entre elles qui nous intéresse : l’échec du libéralisme, du mondialisme, du sansfrontiérisme, de l’effacement du politique et de l’autorité, , du système postnational, etc. Il le fait comme observateur économique et politique non-engagé. N’est-ce pas déjà beaucoup ? A nous de nous en servir si nous en sommes capables, voilà tout. Inutile de lui délivrer un blanc-seing tous azimuts, n’est-ce pas ? Pour ce qui est de la doctrine politique, nous en avons une mais qu’il convient sans-cesse de confronter aux simples réalités du monde. Je le vois ainsi.
Par ailleurs, JSF a une ligne politique. Ce qui n’apparaît guère ailleurs …
On en revient toujours au même point. Tous ces analystes font un état des lieux, plutôt pertinent en ce qui concerne François Lenglet, mais sont incapables (ou n’osent pas) nommer l’origine du désordre. Dommage, mais on avance….
Si François Lenglet avait dit ce que Richard a dit et moi aussi, d’ailleurs, son livre aurait été mis aussitôt aux oubliettes et nous n’aurions pas à en parler, ce qui serait tout de même dommage car il contient des constatations bien étayées qui peuvent nous servir. Et qui mettent à mal des tabous installés de longue date. Nous ne pouvons pas nous défausser de notre rôle. Il faut bien que nous servions à quelque chose.
Sans vouloir enfoncer des portes ouvertes , il est bien compris que JSF a une ligne politique.
Le simple lecteur , n’ayant la formation adéquate ne peut être en cette situation ; quoi d’ étonnant à cela ? Ce n’est pas pour autant que l’on fasse du vagabondage intellectuel .
Du reste , et soit dit en passant , il est présenté des articles divers et variés , avec des extraits de journaux , d’ auteurs pour lesquels le manteau de Noé est parfois utile ; de mémoire , le talentueux Bainville se félicitait qu’ il y ait eu des soviets dans l’ Allemagne de 1919 !
En tout cas, vous nous apprenez-cette remarque judicieuse de Bainville, merci !
Merci d’avoir laissé passer mon commentaire iconoclaste
Vous avez le dernier mot si l’on considère la qualité remarquable de cette » Histoire de France » .
Nous n’avions aucune raison pour ne pas « approuver » votre commentaire. D’autant que sur les réserves que vous formuliez, en tant que telles, nous sommes bien d’accord. « Dérive » est péjoratif et, en effet, les dirigeants « autoritaires » que Lenglet énumère ne sont pas à mettre sur un même plan. Nous voyons l’intérêt de ses textes ailleurs. Il y a, d’ailleurs, dans notre mouvance, certains qui ne l’aiment guère parce que justement ils sont libéraux, européistes, atlantistes et furieusement anti-Poutine, parce qu’ils croient au primat de l’économique sur le politique, sont idéologiquement libre-échangistes, etc. Notre désaccord de fond est plutôt du côté de ces positions-là.Mais, là, nous ne vous apprenons rien.