Il nous faut suivre l’évolution du monde. Economique, politique, géopolitique. Et aussi, l’évolution des esprits qui l’observent avec quelque compétence, culture historique, connaissance du terrain, bon sens. Il nous semble que François Lenglet est de ceux-là. Son livre Tout va basculer paru il y a à peine un peu plus d’un an, a fait grand bruit. Sa thèse a été amplement médiatisée, discutée. La crise économique de grande ampleur que nous vivons n’a fait que confirmer et activer les évolutions qui déjà, selon lui, s’annonçaient. A-t-il en tous points raison ? Il serait dérisoire de le penser. Mais plus encore, pour ce qui nous concerne, de nous en désintéresser. Je Suis Français vous propose donc à dater de ce jour une suite d’analyses reprises de son ouvrage. Ce sont des citations limitées, choisies. Elles dessinent néanmoins les contours de sa thèse, qui ne sont pas sans rapport avec notre propre ligne politique. Nous recommandons bien-entendu la lecture du livre lui-même.
Géographie et lutte des classes
Nos crises de 2019 ont donc toutes trois la même origine, l’excès de liberté, le démantèlement des frontières, initié dans l’enthousiasme il y a cinquante ans parce qu’il offrait des promesses d’épanouissement individuel et de développement économique sur la base de valeurs universelles. Au fil des ans, ce libéralisme s’est transformé et déformé, au point de favoriser lui aussi les rentes, celles de la finance par exemple. Peu à peu, à partir de la moitié des années quatre-vingt-dix, les rentiers du libéralisme ont pris l’ascendant et infléchi à leur profit le partage des richesses dans nos sociétés.
Ce détournement de l’esprit du libéralisme a produit chez nous des sociétés clivées, maintes fois analysées. Si les frontières nationales ont disparu, d’autres délimitations géographiques infranchissables sont apparues, à l’intérieur même des nations.
Celles qui délimitent la richesse et les opportunités, désormais concentrées sur un petit tiers du territoire, plutôt dans les villes, plutôt sur les côtes. La géographie est devenue une clé de lecture essentielle, sociale et politique. Dans les zones reléguées et désolées au plan économique triomphent en effet les populistes, et cela quel que soit le pays. L’analyse des cartes électorales du référendum sur le Brexit et de l’élection présidentielle américaine, en 2016, des élections législatives italiennes et de la présidentielle française sont incroyablement similaires. Alors que naguère le vote procédait de l’histoire, de la religion, de la structure familiale et démographique et bien sûr de la classe sociale, il est aujourd’hui déterminé par les coordonnées de latitude et de longitude du foyer, ce positionnement sur la carte formatant la vie des habitants, leur futur et celui de leurs enfants, avec une rigueur d’airain.
Le monde libéral a dynamité sa classe moyenne, éclatée entre le tiers supérieur, qui a rejoint les élites et habite dans les zones qui leur sont dévolues, alors que les deux tiers restants peinent pour maintenir leur niveau de vie, taraudés par l’inquiétude du déclassement. Or, cette classe moyenne était le meilleur antidote contre la lutte des classes, parce qu’elle atténuait l’antagonisme entre les groupes sociaux, en facilitant le passage des individus de l’un à l’autre de ces groupes, parfois sur plusieurs générations. La classe moyenne disparaissant, la lutte des classes réapparaît… Justement sous les traits du vote populiste.
Nul doute que ces tensions ne produisent un monde fort différent de celui auquel nous sommes habitués. Car c’est désormais le besoin de protection qui prévaut, au détriment du désir de liberté, qui avait été l’aiguillon du cycle libéral. Autorité, retour de l’État, rehaussement des frontières, voilà ce qui nous attend. Non pas seulement pour les mois ou les années qui viennent, mais pour les décennies à venir. (A suivre, demain mardi). ■
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