Il nous faut suivre l’évolution du monde. Economique, politique, géopolitique. Et aussi, l’évolution des esprits qui l’observent avec quelque compétence, culture historique, connaissance du terrain, bon sens. Il nous semble que François Lenglet est de ceux-là. Son livre Tout va basculer paru il y a à peine un peu plus d’un an, a fait grand bruit. Sa thèse a été amplement médiatisée, discutée. La crise économique de grande ampleur que nous vivons n’a fait que confirmer et activer les évolutions qui déjà, selon lui, s’annonçaient. A-t-il en tous points raison ? Il serait dérisoire de le penser. Mais plus encore, pour ce qui nous concerne, de nous en désintéresser. Je Suis Français vous propose donc à dater de ce jour une suite d’analyses reprises de son ouvrage. Ce sont des citations limitées, choisies. Elles dessinent néanmoins les contours de sa thèse, qui ne sont pas sans rapport avec notre propre ligne politique. Nous recommandons bien-entendu la lecture du livre lui-même.
Cycle idéologique et générations
Si l’on se fie à l’Histoire, ces cycles idéologiques sont en effet longs. On en voit la trace depuis le début du capitalisme, comme s’ils lui étaient consubstantiels.
Dans ce cycle, deux périodes opposées se succèdent : une première libérale, de plusieurs décennies, et une seconde protectionniste, d’une durée comparable. La période libérale est toujours conclue par un krach financier — celui de 1873, de 1929 ou de 2008 — et une crise qui débouche sur la remise en cause des élites et de leur philosophie économique. En 2019, nous en sommes justement à ce point-là. Suit alors la période étatiste, ponctuée souvent elle aussi par une crise, causée par la sur-réglementation. Comme si nos sociétés étaient toujours à la recherche du point d’équilibre entre le trop de liberté et le trop de règles, et que le balancier partait toujours trop loin, au point de provoquer une secousse et un mouvement idéologique inverse. L’excès de protection fait renaître le désir de liberté qui, trente ou quarante ans plus tard, ressuscite le besoin de protection.
L’inversion idéologique se produit sous l’effet de la crise, qui met à jour les mécanismes viciés soit du libéralisme intempérant, soit de la réglementation excessive. Elle est déclenchée par la génération nouvelle, qui se détermine toujours contre celle qui l’a précédée. Le cycle libéral actuel a ainsi été initié par la génération née juste après la guerre, celle des baby-boomers, qui contestait la société de ses parents et l’ordre qu’ils tentaient d’imposer. Et si les parents étaient si attachés à l’ordre social, c’est sans doute parce qu’ils s’étaient eux-mêmes déterminés contre les désordres extraordinaires de la première moitié du me siècle… Suivant cette logique, on peut pressentir que les enfants des baby-boomers récuseront, à leur tour, la société de leurs parents, non pas parce qu’elle est trop rigide, mais au contraire trop permissive.
Il n’y aurait donc pas véritablement de progrès, mais une oscillation perpétuelle d’un excès à l’autre, au rythme de la succession des générations, chacune étant conduite à prendre le contre-pied de celle qui l’a précédée, ce qui la précipite dans les mêmes désirs — et les mêmes illusions — que celle de ses grands-parents. Tout aussi troublant, ce cycle est mondial, tous les pays étant synchronisés sur le même calendrier idéologique. Il serait d’une durée relativement constante, soixante-dix à quatre-vingts ans — en gros la durée d’une vie humaine. Comme si la disparition d’une génération provoquait la renaissance des illusions, faute de témoins vivants pour rappeler les erreurs commises…
Certes, l’idée de ce cycle n’est guère conforme aux canons de la rationalité. Elle malmène le concept même de raison économique, en en faisant un objet relatif, déterminé tantôt par le besoin de protection, tantôt par le désir de liberté, selon ce qui prévaut dans la société. Elle sous-entend que l’économie ne serait qu’un domaine secondaire, dont l’orientation idéologique est déterminée non par la science et l’expérimentation, mais par la pulsion dominante dans la société. Et pourtant, n’observe-t-on pas des modes justement, dans les préconisations des économistes, à trente ans d’écart ? Milton Friedman, le libéral de l’université de Chicago qui a inspiré Reagan en 1980, était aux antipodes de Keynes, qui avait été l’artisan des accords de Bretton Woods, en 1944, et l’analyste de la grande crise des années trente. Et Friedman n’a-t-il pas été à son tour remisé au placard après le krach de 2008, qui a réhabilité l’intervention de l’État et une forme de keynésianisme, alors que le laisser-faire avait conduit à la paralysie de l’économie mondiale ?
Sur aucune des grandes questions économiques, il n’y a de vérité intemporelle qui vaille indépendamment des circonstances. L’hypothèse d’un cycle idéologique a le mérite de proposer un cadre et une explication à la succession d’affirmations contradictoires au fil des décennies. Quant au rôle joué par la génération, promoteur des idées « nouvelles » et de la révolution qu’elles opèrent, il suffit d’observer autour de soi. Il est difficilement contestable que les membres d’une même génération partagent des références culturelles et historiques, une façon de s’informer et de se situer par rapport aux autres. Que cet ensemble de valeurs modèle l’organisation dé la société et le partage des richesses, au moins lorsque la génération est en âge d’exercer son influence en détenant les postes de pouvoir en politique et dans l’entreprise, n’aurait rien d’étonnant.
C’est ainsi que l’influence d’une génération progresse à mesure qu’elle s’intègre dans la société, et qu’elle reflue lorsqu’elle part à la retraite, pour s’éteindre lorsqu’elle meurt. Le libéralisme est en train de s’effacer, tout simplement parce que la génération qui le porte, celle des baby-boomers, est elle aussi en train de s’effacer. L’un de ses hérauts français, Johnny Hallyday, n’est-il pas mort l’année dernière ? (A suivre, demain). ■
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Le krach de 2008 n’a pas réhabilité l’intervention de l’Etat mais il est venu au secours des banques privées et de leurs errements. Depuis les entreprises privées sont assurées que la puissance publique viendra forcément à leurs secours pour nationaliser les pertes et privatiser les profits. Les effets économiques de la crise sanitaire due aux injonctions de Bruxelles de faire toujours plus d’économies sur le dos de notre système sanitaire, sont déjà identiques : nationaliser les pertes et privatiser les bénéfices.
Le vrai retour de l’Etat serait qu’il exige des contreparties réelles vis-à-vis des entreprises soit en prenant des parts dans leur capital égales aux aides consenties comme chez Renault, et Air-France, soit des contreparties salariales sérieuses.