Pareto était-il socialisant, fascisant, grand libéral ? Ou inclassable ? Dans le monde de l’entreprise, on le connaît surtout comme auteur du principe de Pareto ou loi des 80/20. En tout cas, il s’en prend ici à l’angélisme d’une certaine gauche, qui privilégie ou feint de privilégier les puissances de l’émotion sur toute autre considération. Et sa charge contre Anatole France rappelle singulièrement les événements que nous vivons, les hommes de médiocre envergure que nous voyons y mettre la main, s’y ridiculiser. Ce vieux France pacifiste et communisant à la jonction des XIXe et XXe siècles qui véhiculèrent tant d’utopies mortifères. Et ce même Anatole France qui recommandait, diton, à son médecin, de lire l’Action Française. L’analyse de Pareto est en tout cas roborative, utile à lire, en un temps qui par rapport au sien, a descendu encore de beaucoup de crans !
Supposons un individu qui veuille laisser courir librement les chiens enragés et les rats pestiférés, qui feigne, comme A. France, qu’on l’accuse de tenir le parti de ces bêtes. Il répond : « Je réprouve à ce point la mort donnée par le chien enragé ou le rat pestiféré, qu’il m’est pénible de voir que les hommes n’ont rien trouvé de mieux, pour se mettre en sûreté, que d’imiter les chiens enragés et les rats pestiférés en donnant la mort à ces animaux ».
Ensuite il conclut : « Plus je vis plus je m’aperçois qu’il n’y a pas d’animaux coupables et qu’il n’y a que des animaux malheureux. Appelez tant qu’il vous plaira coupables ou malheureux les chiens enragés et les rats pestiférés, pourvu que vous nous laissiez nous en débarrasser ; alors nous sommes d’accord. Donnez le nom que vous voudrez à messieurs les larrons et à messieurs les assassins ; dites que ce sont des innocents ; pourvu que vous nous permettiez de ne pas vivre en compagnie de ces innocents, nous ne vous demandons pas autre chose.
Il suffit d’ouvrir un journal pour y trouver la description des louables exploits de ces malheureux. pour lesquels A. France a tant de bienveillance.
Voici un exemple pris aux hasard, La Liberté, 14 janvier 1913 :
« Une gamine sert de cible à des apaches. Au numéro 42 de l’avenue des Batignolles, à Saint-Ouen, s’ouvre un étroit passage, bordé de masures habitées par des ménages de modestes travailleurs chargés de famille. La famille Pache est une des plus intéressantes, car le père, victime d’un accident du travail, ne peut faire que de menus travaux.
Cependant, il fait vivre sa famille, quatre enfants, et il a réussi à se construire une maisonnette sur un minuscule terrain, tout au fond de l’impasse. L’aînée des enfants, Marcelle, qui vient d’atteindre sa quinzième année, réalise en tous points le type de la »petite maman » que l’on rencontre fréquemment dans les familles pauvres et nombreuses.
Levée dès la pointe du jour, elle prépare le déjeuner des bambins ; puis elle les conduit, bien propres, à l’école maternelle ; ensuite, elle se rend à l’atelier où elle travaille toute la journée ; enfin, elle rentre à la maison et prépare le dîner de toute la famille. Hier soir, la »petite mère » se rendit, à 7 heures, au bout de l’allée pour y prendre de l’eau à la fontaine.
À ce moment, plusieurs jeunes gens s’arrêtèrent à quelques pas du groupe que la jeune Marcelle formait avec les gosses. — Attention, dit l’un des apaches… Ce fut là un signal ; coup sur coup, plusieurs détonations retentirent… »Petite mère », atteinte au milieu du front par une balle s’affaissa en poussant un grand cri… Les rôdeurs l’avaient choisie comme cible pour essayer leurs revolvers. Des voisins accoururent. On releva la pauvre petite qui perdait le sang abondamment. Tandis que les uns relevaient la victime de cet odieux attentat, d’autres allaient prévenir le docteur Perraudeau… Le médecin déclara que l’état de la malheureuse enfant était grave et il la fit conduire à l’hôpital Bichat, où elle fut admise ».
Il faut bien comprendre que, d’après la théorie de A. France, ce n’est pas la fillette presque tuée qui est malheureuse ; ce sont ses agresseurs qui sont malheureux. Il n’est pas nécessaire que les gens se préoccupent de cette enfant, et moins encore qu’ils prennent des mesures pour que des faits semblables ne se renouvellent pas ; seuls les agresseurs doivent jouir des tendres attentions de la « société ». ■