Par Jean-Christophe Buisson*
Comment devient-on Michel Piccoli ? Réponse dans une biographie enlevée et documentée qu’Anne-Sophie Mercier consacre au comédien disparu le mois dernier.
Note de JSF : nous avons toujours trouvé assez sot de juger un artiste dans l’exercice de son art suivant ses idées ou ses engagements politiques : c’est d’un autre ordre !
CHER MICHEL PICCOLI, comme Guy Bedos, qui vient de vous rejoindre, vous ne croyiez guère en Dieu.
Maintenant que vous êtes près de Lui, vous devez avoir l’air malin. Surtout quand Il vous confessera avoir vu tous vos films — même Thennroc où vous ne faites qu’éructer et grogner sans prononcer la moindre parole. Vous serez également épaté de découvrir qu’il sait tout de vous.
Il existe une autre personne qui connaît parfaitement votre vie et la manière dont vous êtes devenu cet acteur merveilleux qui a marqué le cinéma français des années 1960, 1970 et 1980 : Anne-Sophie Mercier.
Chance : elle vit sur Terre. Et elle est généreuse. Pas du genre à cacher ses informations inédites. Plutôt même encline à les divulguer — elle travaille au Canard enchaîné. Au terme de plusieurs années d’enquête, elle a écrit de vous une biographie épatante dont la principale vertu est de ne pas s’attarder sur votre carrière (qui en ignore le moindre détail, après ces dizaines de nécrologies parues le mois dernier ?), mais de dessiner au fusain encré, foin de toute hagiographie, l’enfant, l’adolescent et l’adulte que vous fûtes (Allary éditions. 207 p., 18,90 €).
Comme dans toute famille, celle de Piccoli possédait ses mystères et il en cultivait le secret. On le comprend. Devenir un des acteurs français de gauche les plus engagés (financement de la LCR d’Alain Krivine, soutien de Mitterrand, Jospin, Royal et Hollande) en ayant pour oncle le gouverneur du Niger et pour grand-père un industriel riche, puissant, influent et producteur de ce blanc poison tueur d’ouvriers nommé céruse (responsable du saturnisme), il y a de quoi ne pas s’en vanter. Et ses parents ? « Des artistes qui n’ont pas su m’initier à l’art. » À croire qu’il faut cumuler les handicaps familiaux pour devenir comédien.
Anne-Sophie Mercier consacre des pages merveilleuses au passage du futur acteur dans le collège d’Annel (moitié camp scout, moitié lycée à la mode Célestin Freinet), à la période de la guerre, riche en émotions (arrestation par les Allemands, apprentissage de l’amour, découverte de son pouvoir de séduction) et à son immersion dans le monde du théâtre, dans les cours d’Andrée Bauer-Thérond.
Il y croise Maria Casarès, Luis Mariano et Roger Carel, joue tout avec frénésie (sauf Racine), se politise. La suite est connue. Mais elle mérite largement d’être relue et revue, sous une plume alerte, inspirée et sensible. ■
Post-apostrophum : le poète oublié André de Richaud, dont Piccoli était l’ami fidèle, est l’auteur d’un livre intitulé Je ne suis pas mort. Il est ici à nouveau ressuscité.
* Source : Figaro magazine, dernière livraison.
Jean Christophe Buisson est écrivain et directeur adjoint du Figaro Magazine. Il présente l’émission hebdomadaire Historiquement show4 et l’émission bimestrielle L’Histoire immédiate où il reçoit pendant plus d’une heure une grande figure intellectuelle française (Régis Debray, Pierre Manent, Jean-Pierre Le Goff, Marcel Gauchet, etc.). Il est également chroniqueur dans l’émission AcTualiTy sur France 2. Son dernier livre, 1917, l’année qui a changé le monde, est paru aux éditions Perrin.
Au cas où de jeunes lecteurs de JSF ne connaîtraient pas bien la carrière artistique de Michel Piccoli, voici ce qu’on peut ajouter :
Il était assez largement l’aîné, de 5 ou 6 ans, d’un trio d’acteurs fabuleux, Philippe Noiret, Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle, avec qui il partageait toutefois la particularité d’avoir accédé aux grands premiers rôles après la trentaine et au delà. Mais le succès venu (Le Doulos de Melville en 1962, le Mépris de Jean-Luc Godard en 1963), Michel Piccoli s’est installé aux premiers rangs du cinéma français et, chose plus rare, ne les a jamais quittés.
Dans l’immense carrière d’un acteur qui a joué pour tous les plus grands réalisateurs (Buñuel, Demy, Costa Gavras, Chabrol, Malle) on n’en finirait pas d’énumérer les grands rôles et les grands succès. Mais presque avec évidence on citera la complicité que Michel Piccoli a eue avec Claude Sautet, dont il a été l’interprète idéal dans Les choses de la vie (1970), Max et les ferrailleurs (1971), César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul… et les autres (1974) et Mado (1976)… Et pour ma part j’ai en tête deux grands souvenirs : l’abominable avocat tueur Georges Sarret du Trio infernal de Francis Girod (1974) et peut-être surtout le Dom Juan qu’il fut à la télévision sous la caméra de Marcel Bluwal en 1965…