PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro du 12 juin. Elle est introduite dans ces termes : « Un cap vient d’être franchi. Le fantasme de la guerre raciale qui habite l’imaginaire de l’indigénisme s’est dévoilé. » Mais, bien au-delà, Mathieu Bock-Côté montre comment nous avons affaire à une révolution culturelle d’un nouveau type visant à précipiter l’effondrement symbolique de la nation, en vue de sa destruction globale. Notre combat est pour la nation. Quant à sauver l’universalisme, ce concept vague nous paraît parfaitement inactuel : c’est le particulier, notre particulier, celui de nos origines immémoriales, qu’il nous appartient aujourd’hui de défendre. Pour ce qui est de l’universel – lequel d’ailleurs ? – le temps n’est pas à en débattre ou à en rêver, nous semble-t-il.
« La honte d’être blanc a supplanté la mauvaise conscience bourgeoise ». Alain Finkielkraut
Les révolutions sont iconoclastes.
On a pu se le rappeler ces jours-ci lorsque des vandales s’en sont pris, à Londres, à la statue de Churchill, qualifié de raciste par des tagueurs. En Grande-Bretagne, toujours, on pense retirer celle de Baden Powell. Le maire de Londres s’engage à revisiter la statuaire de la ville pour qu’elle célèbre désormais la diversité. Aux États-Unis, deux statues de Christophe Colomb ont été déboulonnées. L’épopée des grandes découvertes associée à l’expansion européenne devient honteuse. En France, la gauche décoloniale fait la liste des statues à faire tomber. Apparemment, une partie des populations immigrées trouvent invivable l’environnement symbolique du pays où elles se sont installées.
L’iconoclasme se double d’un appel à l’épuration éthique des œuvres soupçonnées de contredire la révolution diversitaire. L’auteure de la série Friends, une célèbre sitcom américaine, s’excuse en pleurant vingt-cinq ans plus tard parce que sa série, trop blanche, ne correspond à la comptabilité ethnoraciale aujourd’hui exigée à la télévision. HBO retire Autant en emporte le vent de son offre de films temporairement à cause des préjugés raciaux qu’il relaierait pour mieux le « recontexualiser » – en d’autres termes, pour l’encadrer d’explications dictant ce qu’il faut en penser. Les censeurs s’installent et veulent contrôler notre univers mental. Jusqu’où ira la purge ? Le monde d’hier a connu le réalisme socialisme, viendra demain le réalisme diversitaire.
Au Canada, Justin Trudeau a décidé de s’agenouiller en accusant son pays de racisme systémique. Christophe Castaner pense faire la même chose. Ce qu’on cherche à faire passer pour un symbole de réconciliation est un geste de soumission à la nouvelle idéologie dominante. La bourgeoisie mondaine a peur et témoigne de son ralliement au régime diversitaire en se pliant devant ses troupes de choc qui occupent physiquement l’espace public et se permettent de verser dans la violence.
La course est lancée pour savoir qui sera le pénitent exemplaire. On l’a vu avec un des fondateurs de Reddit qui a démissionné de son poste en exigeant d’être remplacé par une personne noire. Chacun doit envoyer un signe d’adhésion ostentatoire. Même le silence passe pour une marque de dissidence. Les médias cherchent à nous convaincre que ces manifestations qui se tiennent dans le monde occidental sont pacifiques alors qu’elles expriment trop souvent la haine d’une civilisation. Si la situation des immigrés en Europe n’a rien à voir avec celle des Noirs américains, le régime diversitaire veut les amener à croire le contraire. L’envie prend de répondre: pas d’amalgame ! À l’échelle de l’histoire, on peut dire que la grande migration des dernières décennies commence à révéler ses effets politiques dans un monde occidental qui a longtemps préféré détourner le regard tout en punissant ceux qui appelaient à regarder la réalité en face et qui annonçaient l’avènement d’une société soumise à de vives tensions identitaires.
L’immigration massive, imposée sans respect pour la capacité d’accueil des sociétés d’accueil, a créé des enclaves ethniques de plus en plus grosses, et traversées par un ressentiment victimaire dont le racialisme est la traduction idéologique. Le racialisme abolit la diversité des situations historiques pour pousser à la solidarité sur la seule base de la couleur de la peau. Les spéculations théoriciennes sur le vivre-ensemble pour retisser dans le discours ce qui s’effiloche dans le réel ne convainquent plus que les consultants en diversité. L’effondrement symbolique de la nation n’engendre pas le citoyen du monde mais libère les tribus conquérantes et détruit les conditions mêmes de l’universalisme, qu’il faudrait pourtant sauver.
Rabattre le cas d’Adama Traoré sur celui de George Floyd relève de la manipulation idéologique. Un cap vient d’être franchi. Le fantasme de la guerre raciale qui habite l’imaginaire de l’indigénisme s’est dévoilé. La mouvance indigéniste considère que la France achèvera son processus de décolonisation lorsque les Français seront étrangers chez eux. Les indigénistes croient qu’ils ont désormais, grâce à l’immigration massive, une base sociale qu’ils veulent mobiliser quitte à la contraindre par l’intimidation idéologique pour faire une démonstration de force. Cette mouvance cherche explicitement à construire une conscience raciale révolutionnaire et croit son heure arrivée, devant des élites ébaubies, qui ne comprennent pas que l’antiracisme indigéniste est un racisme antiblanc revendiqué. La complaisance à son endroit relève d’une fascination malsaine du faible pour le fort, du décadent pour la puissance qui monte. Elle a poussé autrefois à quelques tendresses pour les totalitarismes. Il semble que l’histoire se répète. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Ces indigénistes sont les héritiers des Black Panthers américains, organisation terroriste noire et du mouvement du raciste et suprématiste noir Louis Farrakhan, fondateur de Nation of Islam, antisémite frénétique, lié au parti nazi américain. Même idéologie, même racisme antiblanc revendiqué. Ces indigénistes sont des fauteurs de guerre civile, qu’ils appellent de leurs vœux. Si nous avions un État en France, ce qui n’est plus le cas, cette mouvance serait interdite