Par Rémi Hugues.
Il s’agit ici d’une suite de trois articles. Le premier est paru hier jeudi. Celui-ci est le second. Le troisième et dernier paraîtra lundi prochain, 22 juin. Quant au capitalisme, il convient, bien-sûr, de prendre ce mot au sens défini et étudié dans cette suite d’articles.
Ni la possession foncière, ni l’usage privé de moyens de production, même rudimentaires ne sont au fondement du système socio-économique « positif » (au sens où les juristes utilisent cet adjectif, c’est-à-dire actuel, en vigueur)[1].
La logique du profit alors ? Faire du profit c’est dégager une plus-value, à la suite d’un effort productif ou spéculatif permettant, par le truchement de la consommation, de procurer une utilité, un bien-être.
Mais, dans ce cas-là, les différents ordres monastiques médiévaux étaient des entreprises capitalistes car ils créaient beaucoup de valeur ajoutée. L’essor du capitalisme s’explique en partie par la force du clergé médiéval[2], mais il est absurde de voir dans celui-ci une système social capitalistique. Et, en outre, nous pourrions encore remonter plus loin dans le temps. Le nomade de la préhistoire qui prend soin de ses bêtes dégage, en accomplissant cela, un profit mais n’est-il pas inepte de le considérer comme un capitaliste ?
Quel rapport y a-t-il entre lui et les requins de la City et de Wall Street dont parlait Georges Bernanos dans La grande peur des bien-pensants en ces termes : « Vous aurez quelque petit cireur de bottes yankee, un marmot à tête de rat, demi-saxon, demi-juif, avec on ne sait quoi de l’ancêtre nègre au fond de sa moelle enragée, le futur roi de l’Acier, du Caoutchouc, du Pétrole, le Trusteur des Trusts, le futur maître d’une planète standardisée, ce dieu que l’Univers attend, le dieu d’un univers sans Dieu ».
En fait l’ontologie du capitalisme est à chercher auprès des réflexions livrées par Aristote, et plus tard, Karl Marx. Ce dernier, diplômé d’un doctorat de philosophie portant sur le philosophe antique Épicure, avait fondé sa théorie de la valeur sur les enseignements du maître d’Alexandre le conquérant.
La légalisation de l’usure fut le point de départ de l’épopée capitaliste. L’interdit posé par Aristote de cet usage contre nature de la monnaie qu’est le prêt à intérêt fut conservé par l’Église catholique, laquelle fut ardemment combattue à partir de la Réforme au XVIe siècle, puis persécutée par la Révolution de 1789, après avoir été dénigrée par les Lumières, et enfin singée par le Romantisme, qui mettait de l’eau – « bénite », mais ce retour du sacré était trop souvent mâtiné de gnosticisme – dans le vin âpre de l’esprit athée, individualiste, républicain et démocratique.
À ses début, le taux d’intérêt était exorbitant. La prohibition fait monter en flèche les prix. Regardez les produits stupéfiants, c’est parce qu’ils sont illégaux qu’ils sont si chers. Si on prend l’exemple du prêt à la grosse aventure, très pratiqué au temps des Grandes Découvertes[3], il est « ordinairement de 25 % à 30 % et jusqu’à 40 % en période de guerre »[4].
Dans La Révolution française, Pierre Gaxotte indique qu’en août 1789, l’État français a souscrit un emprunt public de trente millions de francs à 4,5 %.
Cet usage jadis proscrit s’était ainsi normalisé, la Loi traditionnelle avait été oubliée par les derniers rois. (À suivre, lundi prochain, 22 juin) ■
[1] Cette thèse selon laquelle « l’essence du capitalisme repose sur la propriété privée des moyen de production » est par exemple exprimée par Jean Robelin dans « Marx et l’avenir du capitalisme » in Revue de Métaphysique et de Morale, Octobre-décembre 2018, n°4, p. 479.
[2] Marcel Gauchet soutient qu’il faut « reconnaître la spécificité chrétienne comme un facteur matriciel et déterminant dans la genèse des articulations qui singularisent fondamentalement notre univers, qu’il s’agisse du rapport à la nature, des formes de la pensée, du mode de coexistence des êtres ou de l’organisation politique. », Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985, p. II.
[3] Voir par exemple Charles Carrière, « Renouveau espagnol et prêt à la grosse aventure : Cadix dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1978, p. 221-252.
[4] Laurier Turgeon, Une histoire de la Nouvelle-France. Français et Amérindiens au XVIe siècle, Paris, Belin, 2019, p. 47.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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