Par Rémi Hugues.
Il s’agit ici d’une suite de trois articles. Le premier et le deuxième sont déjà parus (jeudi et vendredi derniers). Celui-ci est le troisième et dernier. Quant au capitalisme, il convient, bien-sûr, de prendre ce mot au sens défini et étudié dans cette suite d’articles.
« Quoique nos rois s’appelassent encore les fils aînés de l’Église, ils s’acquittaient fort négligemment de leurs obligations envers elle ; ils montraient bien moins d’ardeur à la protéger qu’ils n’en mettaient à défendre leur propre gouvernement »[1], note Alexis de Tocqueville.
D’où la thèse selon laquelle la Révolution française fut un châtiment divin dirigé contre la Monarchie capétienne et la noblesse. Il est certain que nos derniers rois de France n’étaient pas sans défauts, ni sans limites cognitives.
Dans Enquête sur la monarchie, Maurras explique que lors de ses discussions avec Frédéric Amouretti, qui devaient être d’une vivacité formidable, les deux compères en arrivaient à cette conclusion, exprimée sous forme de discours :
« Citoyens, on vous a raconté que nos rois étaient des monstres : il y eut parmi eux, c’est vrai, des hommes faibles, peu intelligents, plusieurs médiocres, débauchés, et peut-être deux ou trois méchants. Il y en eut qui fussent des hommes remarquables, la plupart furent des hommes d’intelligence moyenne et consciencieux. Regardez leur œuvre : c’est la France. »[2]
Quelle œuvre, effectivement ! La démarche conséquentialiste sous-tend qu’il éprouvait un amour de son pays plus que du roi. Son sol, sa lumière, ses exhalaisons, ses vastes forêts, ses champignons, ses productions fruitières, ses viandes et fromages, son vin fort fameux, ses sources d’eaux riches de toutes sortes de minéraux, ses cours d’eau, lacs, mers et océans, et ses habitants bien sûr, de la passementière à la duchesse, de bûcheron au marquis, ceux-là sont des vivants, mais il y a aussi la reviviscence des illustres ancêtres qui compte, autant.
La pérennité de ce pays de cocagne ne peut être assurée que par le Roi. Maurras, semble-t-il ne ressentait pas d’admiration spéciale pour les nobles d’ancien régime, tout en soulignant la supériorité ontologique de l’aristocratie, corollaire naturelle de la monarchie : « Son véritable office propre est de convier l’élite de sa génération à collaborer avec lui pour un progrès dans l’ordre qui obtienne l’assentiment pratique de la quasi-unanimité du pays. »[3]
Car Maurras savait que la noblesse avait une tendance crasse à jouer contre le roi. Et cela depuis les débuts, depuis Clovis : en atteste le mémorable épisode du vase de Soissons. Tocqueville note que la noblesse « était la classe la plus irréligieuse avant 89 »[4]. Ses membres « firent de l’impiété une sorte de passe-temps de leur vie oisive. »[5] Les cas les plus emblématiques étant le marquis de Sade et Philippe « Égalité », qui soutint la mise à mort de son propre cousin Louis XVI.
Et ce n’est pas un hasard si, dans les années 1720, la terrible politique de John Law d’émission de monnaie-papier fut instaurée alors que le trône du roi était vacant, durant la Régence. Une Restauration monarchique doit donc, sur le plan financier, avoir comme pierre angulaire la prohibition de l’usure, qui, de toute façon, n’existe plus qu’à l’état de zombie, puisque nous sommes les témoins de la plus absurde des inventions du capitalisme, les taux d’intérêt négatifs.
Le futur roi de France que nous attendons n’aura pas pour mission la mise à mort du capitalisme, puisque le capitalisme se charge de lui-même de sa destruction, il est son propre fossoyeur, comme disait Marx.
Sa mission est d’empêcher la mise à mort de la France que programme depuis ses débuts la République, fille de la révolution, dont Tocqueville disait qu’elle « n’a pas eu de territoire propre » et qu’« elle a formé, au-dessus de toutes les nationalités particulières, une patrie intellectuelle commune dont les hommes de toutes les nations ont pu devenir citoyens. »[6]
Le capitalisme, en effet, « est entré dans une phase à bien des égards ‘‘apocalyptique’’ »[7]. Et c’est un marxiste, donc un athée, qui dit cela, Étienne Balibar. Les conséquences économiques du Covid-19 sont là pour l’attester, avec son lot de faillites d’entreprises, de nouveaux chômeurs et de coulissiers ruinés. L’annonce de la création d’une bad bank[8] est là pour enfoncer le clou, pour ceux qui seraient sceptiques, par excès d’optimisme, tels Pangloss dans Candide de Voltaire… (Fin) ■
[1] Tocqueville, L’Ancien régime et la Révolution, Paris, Gallimard, 1987, p. 243.
[2] Charles Maurras, Enquête sur la monarchie, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1925, XCV.
[3] Ibid, p. CXXVII.
[4] Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 245.
[5] Ibid., 246.
[6] Ibid., p. 105-106.
[7] Étienne Balibar, « Sur l’expropriation des expropriateurs », in Revue de Métaphysique et de Morale, Octobre-décembre 2018, n°4, p. 479.
[8]https://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKBN23H163
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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