Les experts rendent ce jeudi leur avis sur les partis pris de restauration. Après un an de débats passionnés, le consensus semble être établi. Reste la décision du président de la République, qui, selon le cheminement habituel de son esprit – pensée complexe… – avait prôné, au lendemain de l’incendie de Notre-Dame, « une audace respectueuse » pour la restaurer. Les architectes et les experts du patrimoine, eux, ont opté pour la prévalence du respect.
Qui se souvient de l’annonce d’Édouard Philippe, faite le 17 avril 2019, au lendemain de l’incendie de Notre-Dame de Paris? Debout dans la cour de l’Élysée, entouré de Franck Riester et Sibeth Ndiaye, l’ancien premier ministre avait promis l’organisation d’un «concours international d’architectes» portant sur la flèche de Notre-Dame. Il permettrait, avait-il fait valoir, de décider s’il faut «la reconstruire à l’identique ou la doter des enjeux de notre époque». Quinze mois plus tard, tous les protagonistes de cette scène sont partis vers d’autres aventures. Quant à l’idée d’un concours, elle s’est, lentement mais sûrement, enlisée dans les sables du réalisme et de la faisabilité. Les meilleurs experts l’admettent désormais, en privé: il est presque trop tard, si on veut tenir la date de 2024, pour organiser un concours en bonne et due forme.
Tandis que l’immense échafaudage est en train d’être démonté, au cœur de la cathédrale, il faut pourtant prendre une décision politique rapidement. Et annoncer, officiellement, si on restaure la cathédrale dans son épure; ou si l’on s’autorise une touche contemporaine. Refaire une toiture en plomb? Une charpente en bois? En béton? Une flèche moderne? Et avec quelles contraintes pour le bâtiment? Ces partis pris de restauration restent en suspens, et avec eux, l’avenir d’un des monuments qui a fait l’histoire de Paris.
Ce jeudi après-midi, les experts de la Commission nationale de l’architecture et du patrimoine se réunissent en grand conclave, dans un auditorium du ministère de la Culture. Instance savante dont les avis sont consultatifs, la commission commencera par écouter longuement Philippe Villeneuve, l’architecte en chef en charge de Notre-Dame. Pendant des mois, il a rédigé une étude d’évaluation, et fixé des éléments de réflexion, pour alimenter les débats. Personne n’ignore qu’il a toujours plaidé pour une restauration à l’identique.
Son argumentaire fait plus de 3 000 pages, ce qui laisse augurer de la complexité de l’affaire. Après son exposé, Villeneuve sera prié de quitter les lieux, et les discussions s’ouvriront. Pour qui connaît cette commission, peuplée d’ardents défenseurs du patrimoine, elles devraient pencher du côté d’une restauration de la flèche «dans son dernier état connu», c’est-à-dire, celui de Viollet-le-Duc. «Il est possible que l’on ferraille sur le cas de la charpente: pourquoi, en effet, remettre un matériau hautement inflammable, alors que l’on a fait mieux depuis?», glisse toutefois un des membres.
Déjà, fin juin, les 14 personnalités du conseil scientifique de l’établissement public pour la restauration de Notre-Dame, étaient tombées d’accord pour que Paris retrouve la silhouette iconique de la cathédrale. Il faut dire que dans ce conseil siègent non seulement Benjamin Mouton, ancien architecte de Notre-Dame, mais encore Jean-Michel Léniaud, un des meilleurs spécialistes d’Eugène Viollet-le-Duc. C’est lui qui avait réussi ce tour de force de réunir 1170 conservateurs, architectes et historiens, pour rédiger une tribune appelant le président de la République à «la prudence» et «au sens des responsabilités», face à un enjeu dépassant «tout le monde».
Publié dans Le Figaro, le texte avait déchaîné les passions et confirmé que l’opinion souhaitait retrouver «sa» cathédrale. «Cette histoire n’est pas une nouvelle manifestation de la querelle entre les anciens et les modernes», affirme aujourd’hui un des membres du conseil scientifique, «restaurer la cathédrale comme avant serait cohérent et consensuel». Sondés par le général Georgelin, président de l’établissement public pour la reconstruction de Notre-Dame, les grands donateurs et mécènes ne disent pas autre chose. «La maison Pinault s’interdit de se prononcer sur les choix de restauration du monument: ce n’est pas son rôle et cela serait très mal interprété. Mais ce chantier doit réunir les gens, et ne peut pas devenir un point de discorde, surtout en ce moment», remarque Jean-Jacques Aillagon, conseiller auprès de François Pinault.
Il reste donc à convaincre le président de la République, lequel avait promis, alors que les flammes léchaient encore l’édifice, «une cathédrale plus belle encore». Englué par cette promesse présidentielle, l’ancien ministre de la Culture Franck Riester avait fait glisser la formule quelques mois plus tard. Exit les rêves de toits végétalisés ou de flèche en titane: le concours, avait-il indiqué, ne concernera que les abords de la cathédrale. Pour le reste et le plus important, c’est-à-dire la flèche, une grande consultation des Français devait être organisée. Elle ne l’a jamais été, faute de temps, d’énergie et de volonté. Le confinement a définitivement enterré l’affaire. Et le général Georgelin d’enfoncer le clou: «Quand on construit sa maison, on ne demande pas leur avis aux passants» a-t-il raillé il y a quelques jours devant l’Assemblée.
Si l’avis de la commission nationale est bien celui que tout le monde attend, ce jeudi soir, il reviendra à la toute nouvelle ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, de monter au créneau. Et de convaincre le président de la République que le style néogothique vaut celui de Norman Foster ou de Jean-Michel Wilmotte. Lors de la remise du prix Pritzker, en mai 2019, Emmanuel Macron avait plaidé pour «une audace respectueuse», preuve qu’il avait déjà intégré la difficulté à toucher à ce symbole de Paris. ■
Avis aux éventuels lecteurs de ce même article sur LFAR : il comporte sur LFAR une erreur venue de JSF (et non pas du texte originel du Figaro) erreur que LFAR a emportée ce matin en « pompant » cet article en direct sur JSF dès parution. Ce que LFAR fait d’ailleurs tous les jours de deux ou trois de nos publications., décidément bien intéressantes. L’argumentaire de l’architecte en chef « en charge de Notre-Dame » comporte en effet 3 000 pages et non 30 000. Ce qui forme tout de même une différence de – 27 000 pages. Erreur immédiatement corrigée sur JSF, toujours là sur LFAR, (qui, ne faisant que copier, ne sait rien). . L’éventuel lecteur de LFAR rectifiera donc. Mais ce blog manifestement pirate ferait bien de se méfier de nos toujours possibles erreurs à venir. Grandeurs et servitudes du piratage grossier. [Captures d’écran réalisées].