Par Jean Sévillia.
En réclamant de nouvelles excuses à la France, le président algérien Abdelmadjid Tebboune entretient un ressentiment qui fait obstacle à un travail mémoriel apaisé sur la présence française en Algérie, estime l’historien Jean Sévillia.
Jean Sévillia est également chroniqueur au Figaro Magazine et membre du comité scientifique du Figaro Histoire. Il est aussi l’auteur de nombreux essais historiques, dont notamment Les Vérités cachées de la guerre d’Algérie (Fayard, 2018).
Depuis 1962, l’Algérie a organisé de manière systématique l’écriture de son passé sur la base d’une propagande destinée à confirmer la légitimité de l’État-FLN, notamment avec le chiffre mythique de 1,5 million d’Algériens morts pendant la guerre d’indépendance (le chiffre réel, déjà bien assez lourd, est de 250.000 à 300.000 victimes, tous camps confondus).
Avec le temps, ce récit à sens unique s’est étendu à la conquête de l’Algérie au XIXe siècle, ce qui permet aux hiérarques du système d’englober la totalité de la présence française en Algérie, de 1830 à 1962, dans un même discours réprobateur. Nul n’a oublié comment Abdelaziz Bouteflika, en visite d’État à Paris en 2000, avait pris la parole depuis la tribune de l’Assemblée nationale pour semoncer la France et l’inviter à reconnaître «la lourde dette morale des anciennes métropoles envers leurs administrés de jadis». En 2005, à Sétif, il montait d’un cran dans l’accusation: «L’occupation (française, NDLR) a adopté la voie de l’extermination et du génocide qui s’est inlassablement répétée durant son règne funeste.» Et en 2018, pour son dernier discours présidentiel, il reprenait le refrain habituel en saluant «le combat d’un peuple contre lequel le colonisateur a porté sa barbarie répressive à ses ultimes extrémités».
Que l’actuel président algérien, Abdelmadjid Tebboune, élu en décembre dernier, ait déclaré, le 4 juillet, attendre des excuses de la France pour la colonisation de l’Algérie n’a par conséquent rien d’étonnant: comme dans un jeu de rôle, l’homme jouait sa partition consistant à répéter comme un mantra que tous les torts, de 1830 à 1962, ont été du côté de la France. Comme son prédécesseur, le président Tebboune n’a pas manqué de présenter ses exigences («On a déjà reçu des demi-excuses. Il faut faire un autre pas.»), en rappelant au passage que l’Algérie possède un moyen de pression sur Paris: les 6 millions d’Algériens ou de Franco-Algériens établis en France.
C’est donc un rituel du pouvoir, à Alger, que de vilipender la colonisation, alors même que près de 9 Algériens sur 10 sont nés depuis l’indépendance. C’était d’autant plus facile, pour Abdelmadjid Tebboune, que le Covid-19 lui a donné carte blanche, renvoyant chez eux les centaines de milliers de manifestants du Hirak, le mouvement de contestation qui avait montré que le peuple algérien attend autre chose que le sempiternel discours du FLN.
La vraie question est de savoir si la France va répondre docilement aux injonctions d’Alger. Et c’est là que commencent les inquiétudes si l’on se souvient qu’Emmanuel Macron, en février 2017, alors qu’il n’était que candidat à l’Élysée, avait qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité», ajoutant que cette séquence «fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes», et que, devenu président de la République, il déclarait souhaiter, en janvier dernier, que le travail sur la mémoire de la guerre d’Algérie obtienne, sous sa présidence, «à peu près le même statut que celui qu’avait la Shoah pour Chirac en 1995». Cette formule semblait annoncer une reconnaissance de culpabilité de la France dans la guerre d’Algérie, ce à quoi se sont opposés tous les prédécesseurs du chef de l’État, même François Hollande.
Avoir restitué à Alger, comme cela a eu lieu le 3 juillet, les crânes de plus de vingt guerriers arabes et kabyles qui s’étaient révoltés contre la présence française après la fin de la guerre de conquête, et dont les restes étaient conservés au Musée de l’homme à Paris, n’était pas en soi scandaleux: ces combattants ont eu droit, environ cent cinquante ans après leur mort, à un hommage digne, et la France avait déjà eu des gestes symboliques analogues envers d’autres pays afin de marquer une amitié défiant les traces de conflits très anciens. Mais la République algérienne démocratique et populaire est-elle réellement l’héritière des tribus qui affrontaient l’armée française vers 1850, ces tribus n’ayant nulle conscience d’appartenir à une nation algérienne qui n’était même pas en gestation à l’époque, puisque la France venait de conquérir un territoire où se juxtaposaient des peuples hétérogènes? L’interrogation porte aussi sur l’esprit d’un tel geste mémoriel. Généreuse amitié entre deux peuples sous le signe de l’oubli et du pardon, ou acte de repentance qui ne fera que susciter de nouvelles exigences ?
De quoi la France devrait-elle s’excuser? D’avoir colonisé l’Algérie? Mais peut-on refaire l’histoire? Et n’y aurait donc rien à sauver de cent trente-deux ans de présence française outre-Méditerranée? La France doit-elle s’excuser d’avoir éradiqué des épidémies, construit des hôpitaux, des routes, des barrages et des ponts, d’avoir scolarisé des enfants, d’avoir introduit une agriculture moderne et d’avoir découvert le pétrole et le gaz du Sahara qui restent la richesse principale de l’Algérie d’aujourd’hui? On dira – avec raison – que la colonisation ne fut pas que cela. Elle eut certes aussi ses échecs, sa part d’ombre, ses contradictions, notamment le fait que ce territoire, partie intégrante de la République française, représenta en réalité une société duale où, sans apartheid légal, mais avec un clivage inscrit dans les faits, deux types de population – Européens et musulmans – coexistèrent sans se mêler totalement.
Il faut dire la vérité sur le passé, toute la vérité. Le bien, le mal. Sans rien cacher, mais sans manichéisme et sans anachronisme. La colonisation n’a pas été un crime en soi: elle a été un moment de l’histoire. Dans sa phase de conquête, cette colonisation a été rude pour les colonisés, mais il en a toujours été ainsi depuis la nuit des temps. Quant à la guerre d’indépendance, elle a été violente des deux côtés: quelle guerre n’est pas violente? La souveraineté française sur l’Algérie, de 1830 à 1962, représente cependant une expérience commune aux Français et aux Algériens. Cette expérience, il faut la regarder en face, sans l’embellir, ni la noircir. Pour les Algériens, cette vision apaisée serait le préalable à une relation enfin adulte avec la France. ■
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[Portrait ci-dessus de Fabien Clairefond]
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Source : FigaroVox, 8 juillet 2020.
Comme professeur d’histoire en lycée, donc Colonisation, Décolonisation, Guerre d’Algérie au programme, je valide intégralement cet excellent article, tout en nuance, objectivité et réalité historique !
Nous avons eu sûrement. tort de nous établir en Algérie (l’expédition punitive contre les esclavagistes et bandits barbaresques aurait suffi) et nous y avons dépensé des fortunes qui auraient été mieux employées sur notre territoire.
Mais, comme le rappelle Jean Sévillia opportunément, nous avons apporté à ces populations le progrès et la santé. Et elles osent nous chercher querelle ?
L ‘ article parle de « guerre d’indépendance » ; c’est partial puisque – chacun sait cela , comme d’habitude – il s’agissait d’insurrection dans des départements français ; ce n’est qu’ à posteriori que cela a été qualifié de guerre . Une guerre interdépartementale ?
Pour ce qui a été fait de ce que la métropole a laissé , on racontait que les baignoires des appartements récupérés servirent parfois à faire pousser de la menthe .