PAR PIERRE BUILLY.
Bowling for Columbine de Michael Moore (2002)
Massacre à la tronçonneuse
Introduction : Le titre fait référence à la fusillade du lycée Columbine à Littleton (Colorado) en 1999 où 12 lycéens et un professeur sont assassinés par deux de leurs camarades. Il s’interroge sur le nombre démesuré d’homicides par armes à feu aux États-Unis.
Il est toujours intéressant de revoir ce qu’on doit appeler un film à thèse quelques années après sa réalisation. Ne serait-ce que pour constater – avec admiration ou goguenardise – si les orientations, les partis-pris, les dénonciations se sont ancrées ou non dans la réalité et si le plaidoyer a été entendu.
Au fait, Bowling for Columbine est-il un film ? C’est plein de talent, de roublardise, d’habileté, de mauvaise foi, ça accumule de façon superficiellement convaincante des myriades d’événements en les liant avec un vrai sens de l’artifice, ça culpabilise et stigmatise avec la triomphante condescendance de qui fait partie du Camp du Bien (comme l’appelait Philippe Muray). Tout cela a les qualités et les défauts des œuvres engagées et des actes militants. Ce qui signifie qu’il faut regarder ce maxi-reportage avec toute la distance nécessaire pour ne pas se laisser embringuer par le discours en abdiquant son esprit critique : ne pas tenir la vertueuse indignation pour incontestable sous prétexte que la démonstration faite a ému.
Personne en Europe ne parvient à comprendre l’amour cinglé que les Américains du Nord nourrissent pour les armes à feu (Étasuniens, mais aussi, semble-t-il, Canadiens et, vraisemblablement Mexicains et autres Latinos). Dans nos sociétés vieillies, la possession d’un revolver est plutôt un signe de perturbation mentale et, exception faite des campagnards encore chasseurs (mais le gibier n’existe plus !) personne ne possède un fusil, si ce n’est la racaille de banlieue.
Et alors ? Est-ce que ça signifie une infériorité mentale des habitants du Nouveau Monde, demeurés Grands enfants par rapport à nos sagesses rassies ? Qui peut dire ?
Il m’a toujours semblé bizarre qu’on veuille forcer la nature des peuples et les transformer en une sorte de magma bien-pensant. En Scandinavie, les monarques se promènent librement dans les rues et le président islandais assiste aux matches de football au milieu des supporters, comme l’un d’entre eux. En France, le président de l’Assemblée nationale, lorsqu’il arrive en séance, est précédé par des huissiers à chaîne et en bicorne avec roulement de tambours et présentation des armes par la Garde républicaine (républicaine ! tu parles !). La France est un vieil État monarchique, la Scandinavie une mosaïque de peuplades démocrates. Une fois qu’on a dit ça, on est bien avancé !
Michael Moore dénonce avec une provocante efficacité une constante de son pays : les armes et les assassinats de masse aux États-Unis, c’est comme la dépense publique en France : une drogue dont on ne peut pas se détacher sans n’être plus soi-même. On peut le déplorer, on n’y peut pas grand chose. Malgré son air détaché et ironique, le réalisateur me semble butter contre tous les panneaux du politiquement correct et faire ventre de toutes les indignations.
Ainsi sa critique acerbe de la politique étrangère des États-Unis, à dire vrai exemplaire accumulation de conneries insupportables, mais dont la violence intrinsèque serait une des causes des massacres habituels ; pourquoi alors la politique extérieure de l’ancienne Union soviétique, tout aussi agressive n’a-t-elle pas entraîné des aberrations similaires ?
Moore trépigne, éructe, dénonce : des gamins meurent à tout moment parce que la société vit sous l’empire de la peur et ne se rend pas compte de la perversité des méchants grands groupes capitalistes qui exploitent toute cette anxiété. Il prétend qu’il y a 381 morts par armes à feu en Allemagne, 255 en France, 105 au Canada, 68 en Grande-Bretagne… 11127 aux États-Unis.
Bon. Et alors ? Depuis 2002, date de sortie du film, il ne me semble pas que les tueries aient diminué entre New-York et Los Angeles. Mais la fortune de Mickael Moore s’élève désormais à 50 millions de dollars. ■
Dessin de Carlos Latuff représentant Michael Moore provoquant en duel Charlton Heston (représentant le lobby des armes par le biais de la NRA).
DVD autour de 12 €
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Bien d’ accord avec observation que fait Pierre Builly sur le recul avec lequel un film à thèse peu être regardé .
Pour ce qui est de la possession des armes à feux par les citoyens des E.U , cinglés , oui , lorsqu’on voit des reportages de modèles d’armes pour enfants , pourrait on avancer l’ hypothèse que l’ époque du « Far – West » quand , il fallait régler soi – même les situations les plus périlleuses ait pu marquer l’ inconscient américain et , pour remonter au delà ( tant qu’ à faire ) la méfiance vis à vis d’ un Etat qui régenterait toute la vie des citoyens et ce dés Georges Washington , considérer que la possibilité pour chacun de détenir une arme y soit associée à la liberté de l’individu face à un Etat qui prétendrait avoir le droit exclusif des armes afin de se garantir contre toute rébellion ?
La France , avec son Etat omnipotent , aura l’ attitude inverse ( du reste , le Français préfère , hors périodes exceptionnelles , »s’expliquer » avec des mots que faire parler la poudre) .