Cette Une du Figaro de ce matin, nous fait songer aux vers espagnols – ils sont d’Antonio Machado – qu’Edgar Morin aime à citer. Ils semblent s’appliquer assez exactement au cas d’Emmanuel Macron, accidentellement président de la République : Caminante no hay camino, se hace camino al andar. Toi qui chemines, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant… Comme Edgar Morin, apôtre de la pensée complexe, mais en un sens bien différent, exprimé sous la formule du très rebattu en même temps, il n’est pas sûr pourtant qu’Emmanuel Macron ne sache pas quel est son chemin : l’invariant euro-mondialisme post-national, post-historique, post-politique, qui est l’essence de la modernité ou post-modernité. Et qui est le fond de sa formation, de son instinct politique. De sa pensée. Mais comment la formuler, comment l’habiller de ce populisme, ce souverainisme, dont il a perçu qu’est fait aujourd’hui, en grande part, le sentiment populaire ? Contre lequel on ne gagne pas l’élection présidentielle de 2022… Peut-être est-ce là, et rien de plus, l’entrée, le tracé de ce nouveau chemin qu’Emmanuel Macron cherche, sans les trouver. Cette version des choses n’a rien de réjouissant. Il est possible cependant que ce soit la plus tristement réaliste.
P.S. Vincent Trémolet de Villers dans Le Figaro de ce matin a trouvé les mots, selon nous assez justes, pour décrypter les dires du Chef de l’Etat, hier à l’Elysée.
Impasse médiatique
Est-ce le contraste entre la solennité du défilé militaire et la froideur prosaïque du décor ? La volonté , des intervieweurs de ramener la conversation aux facilités dialectiques ? (Philippe ou Castex ? Content, pas content ? ISF, pas ISF ? Candidat, pas candidat ?) Le sentiment de connivence qui se dégageait parfois du débat ?
Cette intervention qui devait restaurer, à l’ombre du drapeau tricolore, la dignité de la liturgie républicaine n’a malheureusement pas enrayé la banalisation de la parole publique. Emmanuel Macron, dans l’acte de contrition qu’il a prononcé avec intensité, a peut-être donné la clef : le souci d’apaiser un corps social qui, depuis trois ans, souffre d’inquiétantes convulsions. Le masque pour tous avant l’août, foi d’animal ; un impôt qui subsiste pour les moyens riches ; une réforme des retraites « mal emmanchée » qui prendra tout son temps ; le retour des emplois aidés…
Rien pour provoquer la révolte, rien, non plus, pour déclencher l’enthousiasme. Si la vitamine sarkozyste caractérise, dit-on, le gouvernement Castex, la prestation présidentielle empruntait plutôt au narcotique chiraquien.
Mais le plus frappant, le plus désolant aussi, ce sont les mots qui n’ont pas été prononcés. Quelques heures plus tôt, des gendarmes avaient défilé place de la Concorde, des soldats et des soignants avaient déplié un drapeau français. Trois couleurs qui disent la noblesse du service de l’État. Il y a quelques jours, Mélanie Lemée, gendarme de 25 ans, est morte pour avoir voulu, simplement, faire respecter la loi. Philippe Monguillot,
chauffeur de bus, a perdu la vie pour avoir exercé l’autorité la plus infime : celle qui consiste à demander un ticket, le port d’un masque. Ni
les journalistes ni le président n’ont songé à évoquer, hier, ces drames, symboles alarmants d’une violence qui partout s’installe, précipités tragiques de nos renoncements. Dans la surréalité médiatique, pas une minute pour cette réalité criante. La seule évocation de l’ordre public a concerné le délit de faciès. Comment s’étonner alors que la défiance redouble, que l’abstention galope ? ■
Captures d’écran : JSF