Par Rémi Hugues.
Il s’agit-là d’une réflexion en cinq parties dont voici la troisième. Le titre en est, si l’on peut dire, auto-explicatif. Nous n’avons pas besoin d’en souligner l’actualité.
Sans conteste, il nʼy a rien de plus démocratique que la théorie hobbesienne de lʼÉtat.
Elle dit que le pouvoir, au lieu de sa source transcendantale usuellement admise – Dieu –, tire son origine de la décision unanime de la multitude. Parce quʼils en eurent assez de lʼétat de licence consubstantiel à lʼétat de nature – dʼaprès le pessimisme anthropologique radical de Hobbes – les hommes se seraient soudainement mis à désirer lʼordre plutôt que la liberté sans frein, la sécurité à la place de lʼanxiété.
Rupture dans lʼétat de nature. Élan démocratique en faveur de lʼOrdre. Sous lʼimpulsion dʼune sorte de volonté générale, de désir unanime, du Démos lʼÉtat serait advenu ; à lʼÉden paradisiaque, Hobbes a substitué des temps primitifs caractérisés par une violence sans limite ; à lʼHomme-Dieu appelé Adam il a substitué lʼhomme-loup que lʼon pourrait baptiser Nemrod, ou Goliath, ou bien Héliogabale, ou encore Nabuchodonosor.
Ainsi lʼÉglise décida de mettre à lʼindex ce livre, qui indéniablement se trouve à lʼavant-garde du modèle démocratique, de la représentation moderne de la politique. En Angleterre, son influence concrète ne se réalisait pas tant dans lʼhomme-un, le souverain absolu, contrairement à une légende tenace, mais dans une collection dʼhommes, réunis au sein du Parlement.
Or cʼest à lʼancienne colonie, perdue en grande partie des suites du mouvement de libération nationale mené par Jeanne dʼArc la Sainte, que fut dévolu le rôle dʼexporter en direction du monde entier le système parlementaire, vite appelé système démocratique. Dʼune certaine manière la perfide Albion sous-traita à la France, qui pour Henri V, lʼami de Falstaff, était pour lʼAngleterre ce quʼétait lʼAlgérie aux yeux des partisans de lʼO.A.S., la tâche de diffuser urbi et orbi la pensée démocratique, en vantant les mérites dʼun régime – la République – que lʼAnglois ne fut pas assez sot dʼadopter sur le long terme ; le Commonwealth dʼOliver Cromwell ne fut quʼune brève parenthèse.
Voltaire ne loua-t-il pas, sous lʼinfluence de Bolingbroke et consorts, les vertus du régime politique qui existait outre-manche durant son époque, à travers ses Lettres anglaises ? En 1789, à la fin du ténébreux siècle des Lumières, les états généraux réunis autour du roi, lieutenant du Christ, furent transformés en Assemblée nationale, inaugurant un nouveau cycle de lʼHistoire.
Lʼeffort conjugué des esprits de Sion et Albion eut des effets patents sur le réel social et politique. Dʼune façon redoutablement efficace, il permit à ce nouvel esprit, produit de cette hybridation citée plus haut et étudiée en profondeur par un historien méconnu[1], de sʼinstiller sournoisement à lʼintérieur du monde occidental, duquel accoucha la « reine du monde », la dictature de lʼopinion publique, devenue aujourdʼhui tyrannie des réseaux sociaux, via le vote de toute une nation – enfin presque – pour ses représentants. ■ (À suivre, demain lundi)
* Article précédent … [1] [2]
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source