PAR PIERRE BUILLY.
Gibraltar de Julien Leclercq (2013)
Le rocher de Sisyphe
Tiré d’une histoire vécue et présenté sans beaucoup de nuances du seul point de vue de son malheureux héros, Marc Fiévet (dans le film appelé Marc Duval), Gibraltar se laisse voir sans déplaisir, malgré l’extrême complication des histoires tordues qui en tissent les péripéties.
Gilles Lellouche et Tahar Rahim y sont, comme à l’habitude, excellents, il y a du rythme, une photographie sèche, dans les tons jaunes, poussiéreux, nuageux des colonnes d’Hercule, les filles (Raphaëlle Agogué et Mélanie Bernier) sont belles, quoique à peu près inutiles.
Surtout Gibraltar a le mérite de montrer l’invraisemblable inutilité de tous les combats, perdus d’avance contre le flux irrépressible de substances hallucinogènes ; et plus encore de critiquer violemment et intelligemment les efforts tentaculaires déployés par les États au seul bénéfice de directions, d’agences, d’officines vouées à leur propre perpétuation (et au vidage de l’océan à la petite cuillère).
Ce qui est très bien montré dans Gibraltar, c’est ce train-train des organismes qui vivent du trafic : douanes françaises, britanniques, espagnoles, qui ont pour objectif, dans un large jeu de rôle, de justifier leur existence auprès de leur hiérarchie (et de l’opinion publique, toujours priée de s’émerveiller lorsque 4 tonnes de cochonneries sont saisies, alors que 400 tonnes viennent d’entrer). Ce jeu de gendarmes et de voleurs dont personne qui a quelque connaissance du dessous des cartes n’est dupe, apparaît très clairement comme une blague tragique. Qui entraîne des morts, des tortures, des chantages, des rackets, des flux financiers atterrants.
Marc Duval (Gilles Lellouche), ancien routier international, qui vit à Gibraltar avec sa femme et son enfant et y gère un bar est en plein marasme financier ; il est approché par les Douanes françaises, qui en font un de leurs aviseurs, c’est-à-dire un Cousin, une Balance, un informateur rémunéré. Mais il n’est qu’agi, manipulé, induit à mettre de plus en plus le doigt dans le pot de mélasse et à mettre en péril sa tranquillité et surtout ses proches.
Ce n’est pas le genre de film qu’on revoie sans déplaisir ; mais si ça pouvait mettre la puce à l’oreille ; ou déciller quelques paupières lourdes… ■
DVD (d’occasion) dès 4 ou 5€
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