Par Louis-Joseph Delanglade*.
Rarement article aura mieux posé et synthétisé avec autant d’exactitude et de prévision les problèmes européens soulevés par le trop fameux plan de relance de 750 milliards. Problèmes dont est résulté le pathétique weekend bruxellois qui s’est prolongé jusqu’à ce mardi matin où nous écrivons. Quoiqu’il en soit de l’issue, et quelle que soit la présentation que l’on en fera, l’échec est patent. L’Europe des boutiquiers survit à l’échec de celle des visionnaires. Mais le supposé couple ou moteur franco-allemand ne dispose plus de l’autorité qui s’imposait habituellement à tous les autres. Les frugaux qui, d’ailleurs, sont en convergence avec une large part de l’opinion allemande, tiennent désormais la dragée haute aux deux grands, à la table des négociations, et leur chef de file, le redoutable premier ministre néerlandais, Mark Rutte, y remplit le rôle terriblement âpre au gain qu’y jouaient naguère les Britanniques, qui n’ont jamais songé à défendre autre chose que leurs intérêts. Dans de telles conditions, on voit mal comment une Europe qui se voudrait plus fédérale serait autre chose qu’une foire d’empoigne. Autre chose qu’une anarchie technocratique. On voit même assez mal, comment une Europe des Etats, pour laquelle nous sommes pourtant, pourrait encore se construire tant leurs intérêts et leurs politiques sont devenus divergents. A la vérité, il n’y a sans-doute jamais eu aussi peu d’Europe et ce n’est pas une perspective dont nous aurions à nous réjouir.
Publié le 1er juin 2020, réactualisé le 21 juillet 2020
18 mai : consternés ou agacés par l’intervention récente de la cour de Karlsruhe, les européistes accueillent avec soulagement la proposition conjointe de Mme Merkel et de M. Macron d’un plan de relance de 500 milliards d’euros financé par un endettement (et donc un remboursement) commun.
Neuf jours plus tard, le 27 mai, c’est l’enthousiasme : Mme von der Leyen va encore plus loin en portant le montant à 750 milliards et en érigeant la Commission européenne en potentielle détentrice et dispensatrice de fonds propres. « Dynamique à l’oeuvre », « tournant historique » dit-on ou écrit-on ici ou là. Formulations hyperboliques alors que, bien entendu, rien n’est encore fait ni même décidé : pour rallier les pays austères-frugaux-radins, les technocrates de Bruxelles doivent encore concocter un de ces accords tordus dont ils ont le secret.
Pour l’instant, nous en sommes encore au stade de l’annonce, de la communication. Sans entrer dans le détail des chiffres avancés, on peut quand même se poser quelques questions. D’abord sur la nature même de ce « plus d’Europe » qu’on nous promet comme une avancée. Ce serait, c’est certain, une avancée de l’Union telle qu’on la connaît et telle que les peuples la rejettent, avec ses paradis fiscaux, son libre échange, son agriculture industrielle, sa techno-structure bruxelloise, etc. Ce serait probablement aussi de profonds et douloureux bouleversements socio-économiques – car il est difficile de penser que des centaines de milliards seraient dispensés sans contreparties structurelles visant à aligner certains pays (notamment au sud, France certainement incluse) sur un prétendu modèle.
On peut donc comprendre la position maximaliste d’une Commission européenne qui a saisi l’opportunité de se conforter elle-même dans son existence parasitaire. Mais comment les deux instigateurs de la chose en sont-ils arrivés là ? Pour des raisons, semble-t-il totalement opposées. La France, c’est à peu près sûr au vu des premières estimations chiffrées, ne gagnerait rien sur le plan financier. Pis, elle devrait perdre – et il faudra bien qu’il y ait des perdants puisqu’on nous annonce que l’Espagne ou l’Italie, entre autres, devraient être bien loties. La part française de l’impôt européen calculée sur la participation française au budget européen serait ainsi certainement supérieure à la somme globale qui nous serait attribuée par secteurs et régions. Ce qui signifie que, dans cette affaire, M. Macron n’a pas agi dans notre intérêt national mais dans l’intérêt d’une Union à laquelle il semble viscéralement attaché, soit par idéologie soit par ambition personnelle.
En revanche se pose la question d’un prétendu revirement de l’Allemagne. On peut d’abord penser que Mme Merkel, dont la retraite politique approche, entend peaufiner l’image qu’elle laissera : à celle d’une femme généreuse qui a ouvert les bras à un million de musulmans se superposerait celle d’une grande « européenne » qui aura défendu la cause jusqu’au bout. Mais, de même que sa motivation immigrationniste a été autant, si ce n’est davantage, pragmatique qu’humaniste, de même est-il profitable pour l’Allemagne, dans la période incertaine que nous vivons, de ne pas (pas encore, peut-être) abandonner à son sort la moitié de l’Union : c’est en effet avec ses partenaires européens qu’elle réalise la plus grande part de ses excédents commerciaux, grâce à l’euro (un mark ressuscité serait immédiatement réévalué de 30%).
Certains se demanderont évidemment si la fille du pasteur n’a pas fait preuve de duplicité car, quelle que soit la suite, l’Allemagne conservera – et elle est bien la seule en Europe – les moyens de s’imposer au reste de l’Union et, ne l’oublions pas, contrairement à la France, elle s’est intelligemment protégée juridiquement dans sa propre constitution contre certaines dérives européistes.
M. Macron semblait se délecter ce 18 mai de son petit arrangement avec Mme Merkel. Or, si la France n’a rien à y gagner et ne peut qu’être perdante, en revanche, et vu sa situation financière et commerciale, l’Allemagne peut être gagnante et n’a de toute façon pas grand chose à perdre. C’est ce qu’on appelle un contrat léonin . ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
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