LE COMMENTAIRE DE PIERRE BUILLY.
Le Schpountz (1938)
« Je n’ai jamais compris l’amour… »
Ce n’est peut-être pas le meilleur film de Marcel Pagnol (il me semble que La femme du boulanger est un zeste au-dessus, mais sans doute le meilleur écrit pour le cinéma, qui n’adapte ni un succès de théâtre (Topaze ou les deux premiers volets de la Trilogie Marius/Fanny/César, ni un autre écrivain (Giono, la plupart du temps, Daudet, Zola, Maupassant).
C’est mieux que La fille du puisatier, mieux que Manon des sources qui sont pourtant des films formidables.
Ultra-connu, Le Schpountz restauré et fort bien présenté dans ce DVD très attendu, émerveille toujours autant, aussi bien par la pertinence de son regard sur le monde du spectacle, les illusions et déconvenues qu’il suscite, la dureté de son atmosphère, que par les scènes absolument incroyables de pure bouffonnerie. Car s’il est un film où la formidable verve de Marcel Pagnol s’est donnée à plein, c’est bien celui-ci.
C’est ouvert par la scène éblouissante de l’épicerie où les mots succèdent aux mots, les trouvailles aux trouvailles, les merveilles aux merveilles ; très écrit, comme on l’a beaucoup dit, mais porté par des acteurs d’un tel niveau, Charpin et Fernandel qu’on en demeure sidéré, guettant avec gourmandise chaque réplique, comme l’épicier des Accates guette les Anchois des Tropiques.
Il est bien dommage d’ailleurs que l’apparition de la notion de film-culte, dont plusieurs générations connaissent par cœur les répliques (Les bronzés, ou Le Père Noel est une ordure, par exemple) soit un phénomène relativement récent, suscité par des passages continus à la télévision ; sinon, que de merveilles pagnolesques bruisseraient repas de famille, cours de recréation ou soirées entre amis ! (Tu manges, mais tu ne te nourris pas : c’est moi qui te nourris ! ou Rondin malsain de viande ambulante (le rôti de porc avarié) ou Je ne me vois pas vivre entre la morue sèche et le Roquefort humide ou encore Dieu m’aurait-il envoyé ce don pour me laisser vivre dans le gorgonzola ?).
Partant à une allure folle – car peu après la scène extraordinaire de l’épicerie, il y a le fameux Tout condamné à mort aura la tête tranchée – où Fernandel, souvent si mal employé, donne la mesure de son immense talent -, le film se calme ensuite. Un peu trop, peut-être, mais il n’était sans doute pas possible de conserver tout uniment le brio fabuleux de la première demi-heure.
Et puis le reportage acide sur les studios à la fin de l’Entre-deux-guerres est, pour les férus de cinéma, instructif et drôle à souhait. Et cette partie-là est aussi enluminée par le merveilleux monologue de Meyerboom (Léon Belières), si poignant et triste sous ses allures bonhommes (j’ai déjà dû dire quelque part qu’il m’a fait songer à ces pages définitives de Michel Houellebecq dans La possibilité d’une île sur l’effacement des vieux du paysage des jeunes, leur disparition symbolique).
Contrairement à beaucoup, je ne trouve pas niaise et complaisante la fin du film, le retour d’Irénée et de Françoise (Fernandel et Orane Demazis) dans la vieille épicerie, la supercherie et la révélation de la fortune d’Irénée. C’est attendrissant, doux, ça met la larme à l’œil et ce n’est pas un reproche…
C’est en tout cas du Pagnol bien exact. Quel bonheur d’avoir conservé en films ce Trésor ! ■
DVD autour de 27 €
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