Notre lecteur et ami, Marc VERGIER, a eu l’heureuse idée – et nous l’en remercions – de nous transmettre ces réflexions de Chateaubriand en forme d’interrogations. À l’heure d’Erdogan et du chaos Proche-Oriental installé par les États-Unis d’Amérique, elles valent leur pesant d’or et invitent, pour ce qui nous concerne, à une réflexion renouvelée par les données d’aujourd’hui, mais toujours dans cette perspective du temps long, du temps de l’Histoire, qui est ici celle de Chateaubriand.
« Je suis en quelque façon le dernier visiteur de l’empire turc dans ses vieilles mœurs. Les révolutions, qui partout ont immédiatement précédé ou suivi mes pas, se sont étendues sur la Grèce, la Syrie, l’Égypte. Un nouvel Orient va−t−il se former ?
Qu’en sortira−t−il ?
Recevrons−nous le châtiment mérité d’avoir appris l’art moderne des armes à des peuples dont l’état social est fondé sur l’esclavage et la polygamie ?
Avons−nous porté la civilisation au dehors, ou avons−nous amené la barbarie dans l’intérieur de la chrétienté ? Que résultera−t−il des nouveaux intérêts, des nouvelles relations politiques, de la création des puissances qui pourront surgir dans le Levant ?
Personne ne saurait le dire. Je ne me laisse pas éblouir par des bateaux à vapeur, et des chemins de fer ; par la vente du produit des manufactures et par la fortune de quelques soldats français, anglais, allemands, italiens, enrôlés au service d’un pacha : tout cela n’est pas de la civilisation. On verra peut−être revenir, au moyen des troupes disciplinées des Ibrahim futurs, les périls qui ont menacé l’Europe à l’époque de Charles−Martel, et dont plus tard nous a sauvés la généreuse Pologne. Je plains les voyageurs qui me suivront : le harem ne leur cachera plus ses secrets ; ils n’auront point vu le vieux soleil de l’Orient et le turban de Mahomet. Le petit Bédouin me criait en français, lorsque je passais dans les montagnes de la Judée : » En avant, marche ! » L’ordre était donné, et l’Orient a marché. »
1 commentaire pour “Une nouvelle belle page de François-René de Chateaubriand pour cet été singulier… Ses interrogations sur l’Orient futur”
» Si j’avais reconnu dans les Turcs des citoyens libres et vertueux au sein de leur patrie, quoique peu généreux envers les nations conquises, j’aurais gardé le silence, et je me serais contenté de gémir intérieurement sur l’imperfection de la nature humaine : mais retrouver à la fois, dans le même homme, le tyran des Grecs et l’esclave du Grand Seigneur; le bourreau d’un peuple sans défense, et la servile créature qu’un pacha peut dépouiller de ses biens, enfermer dans un sac de cuir, et jeter au fond de la mer : c’est trop aussi et je ne connais point de bête brute que je ne préfère à un pareil homme. » Chateaubriand. Itinéraire de Paris à Jérusalem.
» Si j’avais reconnu dans les Turcs des citoyens libres et vertueux au sein de leur patrie, quoique peu généreux envers les nations conquises, j’aurais gardé le silence, et je me serais contenté de gémir intérieurement sur l’imperfection de la nature humaine : mais retrouver à la fois, dans le même homme, le tyran des Grecs et l’esclave du Grand Seigneur; le bourreau d’un peuple sans défense, et la servile créature qu’un pacha peut dépouiller de ses biens, enfermer dans un sac de cuir, et jeter au fond de la mer : c’est trop aussi et je ne connais point de bête brute que je ne préfère à un pareil homme. » Chateaubriand. Itinéraire de Paris à Jérusalem.