Quelques mots, quelques textes, ici pour rendre – partiellement – compte de l’art et du génie de Marcel Pagnol. Qui ont partie liée avec l’art et le génie français, du plus populaire, au plus raffiné, parfois au plus érudit. Cela fait partie de notre héritage immatériel et est constitutif de l’âme de notre nation. Et au-delà !
La genèse de la trilogie expliquée par Pagnol
« Vers 1925, parce que je me sentais exilé à Paris, je m’aperçus que j’aimais Marseille et je voulus exprimer cette amitié en écrivant une pièce marseillaise.
Des amis et des aînés m’en dissuadèrent : ils me dirent qu’un ouvrage aussi local, qui mettait en scène des personnages affublés d’un accent aussi particulier, ne serait certainement pas compris hors des Bouches-du-Rhône et qu’à Marseille même, il serait considéré comme un travail d’amateur. Ces raisons me parurent fortes et je renonçai à mon projet : mais, en 1926, je vis jouer Le Mariage de Mlle Beulemans ; ce chef-d’œuvre avait déjà 16 ans et son succès avait fait le tour du monde.
Ce soir-là, j’ai compris qu’une œuvre locale mais profondément sincère et authentique, pouvait parfois prendre place dans le patrimoine littéraire d’un pays et plaire dans le monde entier.
J’ai donc essayé de faire pour Marseille ce que Fonson et Wicheler avaient fait pour Bruxelles. C’est ainsi qu’un brasseur belge est devenu le père de César et que la charmante Mademoiselle Beulemans, à l’âge de 17 ans, mit au monde Marius. Il y a aussi un autre personnage qui doit la vie à la comédie bruxelloise : c’est monsieur Brun qui est assez paradoxalement le fils naturel du parisien Albert Delpierre. J’avais en effet remarqué que son accent faisait un plaisant contraste avec celui de la famille Beulemans et qu’il mettait en valeur la couleur bruxelloise de la pièce. C’est pourquoi, dans le bar marseillais de César, j’ai mis en scène un Lyonnais. »
La grandeur du rire
« Quand on fait rire sur la scène ou sur l’écran, on ne s’abaisse pas, bien au contraire. Faire rire ceux qui rentrent des champs avec leurs mains tellement dures qu’ils ne peuvent plus les fermer ; ceux qui sortent des bureaux avec leurs petites poitrines qui ne savent plus le goût de l’air ; ceux qui reviennent des usines, la tête basse, les ongles cassés avec de l’huile noire dans les coupures de leurs doigts, faire rire tous ceux qui mourront, faire rire des êtres qui ont tant de raisons de pleurer, celui qui possède ce don-là leur donne la force de vivre et on l’aime comme un bienfaiteur. »
Pérennité des oeuvres dramatiques…
« Il viendra peut-être un moment où le langage de ces jolies scènes ne sera plus le langage du jour ; mais alors au lieu de se montrer fanées, fripées, mornes, comme nous apparaissent certains succès artificiels, on leur trouvera un autre charme, on moins précieux, d’évocations justes, et de peinture d’époque… C’est une de ces comédies qui ne passent pas, parce que sous leur vernis moderne, elles sont avant tout des comédies de caractère, solides, naturelles, et qu’elles contiennent des idées et des pensées sous la légèreté des mots. »
Les enfants naturels de l’art dramatique
Ces chefs-d’œuvre de jeunesse sont presque toujours écrits contre les règles, jamais contre les lois ; contre le bon sens, la bienséance, le conformisme, mais non pas contre la raison ; presque toujours réalisés par hasard, sans grande recherche dans le plan, ni dans le style. Au moment où l’auteur n’y songeait guère, ces œuvres éclatent brusquement comme les orages des tropiques. Elles jaillissent du cœur d’un jeune homme, et font fleurir le cœur des femmes qui n’ont pas besoin de rien comprendre pour tout savoir. Ces œuvres montrent à la fois la sûreté de l’instinct, et l’heureuse maladresse du génie naissant ; elles paraissent le plus souvent sans raison valable, c’est-à-dire par des causes éphémères, très indignes de leurs durables effets. Ce sont des improvisations définitives, les enfants naturels de l’art dramatique, qui n’eurent droit à aucun héritage, mais qui auront des héritiers.
Une moralité des œuvres dramatiques ?
La moralité de la pièce, c’est Maurice Donnay qui a pris soin de la résumer dans celte phrase triste et gaie : « Si l’on mourait de toutes les aventures d’amour, il n’y aurait plus personne pour les raconter. »
La tendresse racinienne
Certes, nous ne trouvons pas dans (ces œuvres) les grands intérêts politiques qui sont le ressort de la tragédie de Racine. Mais nous y entendons la voix de la passion et de la tendresse racinienne, et tandis que le poète tragique nous laisse sur l’impression d’un irréparable désespoir, (…) un (dernier) acte qui contient le secret de l’auteur, nous avoue que cette douleur n’est pas éternelle, que l’amour n’est que rarement une passion funeste et que le temps suffit bien souvent à calmer les orages du cœur et des sens. Mais il nous le dit avec un sourire si étrange et même si mystérieux, qu’on ne peut décider si son dénouement, optimiste en apparence, n’est pas plus amer que celui de Racine.
Le tableau d’une époque… dans les œuvres d’un auteur dramatique
« Ainsi l’auteur nous a laissé un tableau d’une grande délicatesse de tons qui représente une époque généreuse, souriante, spirituelle qui ne reviendra peut-être jamais.
Nous retrouvons la société charmante qui précéda le temps des massacres ; car, occupé à peindre des sentiments éternels, il les a peints de la couleur du temps, et il a créé, comme sans y songer, des personnages de son époque et de son pays. Et parce que cette peinture n’était pas son but principal, elle est merveilleusement et librement réussie. On peut dire que (ces œuvres) sont des tragédies bourgeoises dénoncés en comédies, et qu’elles sont en même temps d’authentiques chefs-d’œuvre de la comédie de mœurs.
Aux obsèques de Raimu
Ce grand interprète est mort, et tant d’autres de ses compagnons avec lui.
« Leur dépouille mortelle a eu le sort de toute chair, mais ces morts ne sont plus des disparus, car sur les écrans ils vivent toujours. Leurs voix d’autrefois résonnent encore ; ils n’ont rien perdu de leur talent ; ils exercent toujours leur art ; ils continuent d’émouvoir des foules dans tous les coins du monde, après le jour fatal où l’invisible régisseur les a appelés pour leur entrée dans l’au-delà. Je mesure aujourd’hui tout le pouvoir de la lampe magique, qui ranime les génies éteints, qui refait danser les danseuses mortes, et qui rend à notre tendresse les sourires des amis perdus. » ■
* Ces textes sont tous de Marcel Pagnol, extraits de ses souvenirs ou de son discours de réception à l’Académie française. Il y fait l’éloge d’usage de son prédécesseur, auteur dramatique comme lui, Maurice Donnay. C’est de l’oeuvre de ce dernier dont il est question ici et à laquelle s’adressent les plus vifs éloges. Il est assez clair, pourtant, que Pagnol parle en même temps de la sienne propre.
Et disons aussi que, peut-être le chef-d’oeuvre de Marcel Pagnol ce sont ses souvenirs d’enfance qui sont aussi tendres que bouleversants, si cocasses et si émouvants qu’on peut s’y replonger sans jamais en être déçus.
Et remercions Yves Robert d’avoir réalisé « La gloire de mon père » et « Le château de ma mère » qui mettent en scène bien pieusement, bien respectueusement ces merveilles.