par Bérénice Levet.
Dans cet article, Bérénice Levet analyse surtout nos faiblesses – qui précisément nous empêchent de résister à « ces fleuves identitaires (…) qui sont en train d’engloutir sous leurs eaux notre civilisation ». Or, « nous ne mobilisons pas cet héritage ». Lequel donne forme et substance à notre identité propre. Nous l’avons déjà dit : Pour Bérénice Levet dont nous suivons depuis assez longtemps la réflexion et les remarquables travaux, la crise que nous vivons est bien davantage qu’une crise sanitaire ou économique. Crise de la sociabilité ? Sans-doute, et crise de civilisation, crise politique, crise anthropologique, même. Et crise du déracinement. [Causeur 22 juillet].
Plus encore que la rage destructrice des manifestants identitaires, c’est notre incapacité à y répondre qui inquiète.
Nous avions quitté un monde où les féministes assiégeaient les salles de cinéma qui avaient l’audace de programmer le J’accuse de Roman Polanski et battaient le pavé contre une France qui, en honorant le cinéaste d’un César, confirmait, selon eux, sa complaisance envers les violeurs et les assassins de femmes ; et à peine sortons-nous du confinement que nous assistons à une nouvelle salve d’offensives contre la France, sa police, ses statues, ses noms de rues et d’institutions.
Parmi ces cibles, Colbert, véritable abcès de fixation des associations antiracistes et indigénistes, déjà visé en 2017 dans le sillage des événements de Charlottesville, dont les militants ne savent et ne veulent savoir qu’une chose : qu’il fut l’instigateur du Code noir, et d’un Code noir lui-même réduit à sa plus sommaire expression.
Procureurs et fossoyeurs
J’aurais pu consacrer cet article à l’ignorance crasse dont font montre ces activistes, déboulonneurs et taggeurs de statues, à leur anachronisme, leur pathos de la table rase, leur refus de compter avec l’essentielle ambivalence de l’Histoire. J’aurais pu développer leur impuissance à admettre la vérité énoncée par l’historienne d’art, Anne Pingeot, dans un texte consacré à Paul Gauguin (autre abcès de fixation des indigénistes) et au travail de sauvetage par un colon des mythes et légendes du peuple maori : « La civilisation occidentale qui détruit est aussi celle qui recueille, sauvegarde et recrée. » J’aurais pu évoquer leur rébellion contre ce donné de la condition humaine qui fait que, par la naissance, nous entrons dans un monde qui nous précède, et que, par conséquent, nous sommes « toujours, bon gré mal gré, les héritiers des actes d’autres hommes » (H. Arendt).
Je préfère m’attacher à la réplique que nous opposons, ou non, à ces procureurs et fossoyeurs de la France. Ce qui frappe en effet dans ce nouvel épisode, mais plus largement dans toutes les offensives identitaires, qu’elles viennent des rangs des féministes, des LGBT-istes, des Noirs ou des musulmans, c’est l’inconsistance de notre réponse. Jusqu’à quand, jusqu’où allons-nous consentir à ce réquisitoire perpétuel et toujours plus véhément contre notre histoire, notre singularité, notre identité ?
Sans doute, dans ce cas précis, lors de son allocution du 14 juin, le président a-t-il eu le verbe haut : « La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire, a-t-il déclaré. Elle ne déboulonnera pas de statues. » Cependant, quel crédit accorder à ces énergiques paroles ? Emmanuel Macron a donné trop de preuves de ce qu’il était acquis à l’idéologie identitaire et diversitaire pour que l’on puisse être véritablement rassuré. Et puis, quelle que soit la foi du président, que d’oreilles politiques et journalistiques compatissantes, que de génuflexions – au sens propre comme figuré –, que de gravité face à ces contempteurs de la France. [Photo : Vikash Dhorasoo et une vingtaine de militants antiracistes recouvrent d’un voile noir la statue du maréchal Galliéni, héros de la Première Guerre mondiale et administrateur colonial français, Paris, 18 juin 2020.
© J Radcliffe/Getty Images/AFP]
« Il ne faut jamais résister aux gens qui sont les plus forts. » De toute évidence, nos élites ont fait leur la devise par laquelle le comte de Bréville, dans la nouvelle de Maupassant, escompte fléchir la farouche et patriotique Boule de suif. Or les forts aujourd’hui, ce sont les femmes, les Noirs, les musulmans, bref les minorités, la diversité. Et ils le savent.
Ils savent que le fruit est mûr et ne demande qu’à tomber, d’où ces assauts de plus en plus réguliers et violents. Or, si, collectivement, nous nous souvenions encore de qui nous sommes, la réponse ne manquerait pas de fuser : Colbert n’est peut-être pas le grand homme des Noirs, mais en France il n’y a ni noirs, ni musulmans, ni juifs, ni catholiques, ni protestants, ni hommes, ni femmes, il n’y a que des Français. Et Colbert est un grand homme pour la France. Il est de ceux qui l’ont faite, et qui l’ont faite éclatante et glorieuse. Et c’est la raison pour laquelle la patrie lui est infiniment reconnaissante et le célèbre au travers de ses statues. Ironie de l’Histoire d’ailleurs, c’est au moment où Colbert aurait pu redevenir une figure exemplaire pour la France post-Covid-19 redécouvrant les vertus de l’État stratège, du protectionnisme économique et promettant de s’engager sur la voie de la réindustrialisation, qu’il est de nouveau pris pour cible. Mais c’est précisément cette transcendance de la patrie que ces captifs volontaires de leur « race » récusent.
Notre reddition
Nous sommes mis à l’épreuve et ce ne sont pas quelques biens qui nous sont ravis, mais un modèle de civilisation. Les fièvres identitaires sont destructrices partout, mais en France, elles portent atteinte à un élément constitutif de l’identité française, du génie français. Ce qu’on pourrait appeler la passion du monde commun, notre répugnance à voir les parties qui composent la France coexister, vivre les unes à côté des autres, superposées comme l’huile et l’eau, selon l’image de Renan. Par notre histoire, nous étions mieux armés que tout autre pays pour faire rentrer dans leur lit ces fleuves identitaires, féministes, indigénistes, LGBT-istes qui sont en train d’engloutir sous leurs eaux notre civilisation. Sauf que nous ne mobilisons pas cet héritage.
Trois facteurs éclairent la reddition que nous ne cessons de signer avec nous-mêmes. 1. Nous ne connaissons plus notre histoire, et pour le peu que nous en connaissons, nous la tenons pour coupable ; 2. Nous ne la comprenons plus, nous ne la jugeons donc plus légitime ; et 3. Conséquence fatale, nous ne l’aimons plus suffisamment pour la défendre.
Ces activistes, féministes, antiracistes, LGBT-istes, mais on pourrait ajouter antispécistes, se nourrissent d’abord de notre ignorance et de notre amnésie. Les maîtres de l’heure avancent en terrain d’autant plus sûrement conquis qu’il leur a été préparé par cinquante années d’éducation dite progressiste qui, depuis les années 1970, a fait de la liberté de l’enfant, de son génie originellement créateur, un alibi pour se dispenser de la tâche de transmettre l’héritage. « D’autant que l’âme est plus vide et sans contrepoids, écrivait Montaigne, elle se baisse plus facilement sous la charge de la première persuasion. » Que savent de la France les moins de 50 ans – ce qui commence à faire du monde – sinon qu’elle a été et demeure raciste, patriarcale, sexiste, misogyne, islamophobe, homophobe, transphobe, cruelle aux bêtes ? À un Colbert réduit au Code noir, que seraient en mesure de riposter un écolier ou un adulte né dans les années 1970 ? On eût d’ailleurs aimé, dans ce contexte, entendre le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, car ce n’est pas sur des cartels escortant des statues que l’on apprend l’histoire de la France, mais sur les bancs de l’école.
Ces militants de toute espèce se fortifient également de notre mauvaise conscience. Là encore, des décennies de tyrannie de la repentance ont fini par produire leurs effets. Il nous arrive ce qui arriva à l’instituteur interprété par Bernard Fresson dans Les Feux de la Chandeleur du cinéaste Serge Korber. Revenant sur ses années de jeunesse militante et interrogé sur l’identité d’une jeune femme noire qui figure parmi ses archives, il a cette réponse extraordinaire : « C’était Monica, mon époque noire. Je faisais du racisme à l’envers. Je ne parlais que de négritude, de pouvoir noir. Résultat : Monica, tellement acquise à mes idées, les a appliquées au pied de la lettre : un jour elle n’a plus supporté la vue d’un Blanc, moi le premier ! »
Tirer sans fin sur notre capital civilisationnel
Ils prospèrent enfin, et c’est à mon sens le point majeur, sur le sentiment d’illégitimité que nous inspire le modèle universaliste qui est le nôtre. Toute notre faiblesse vient de l’évidence que l’approche identitaire, diversitaire, communautaire a acquise au fil des années dans notre pays. Nous sommes en effet les héritiers d’une République qui, plus que toute autre, ne veut rien savoir des identités particulières, qui n’en demande pas le sacrifice, mais leur impose la discrétion dans l’espace public. Or, nous ne saisissons plus le magnifique pari sur la liberté que, au travers de cette exigence de neutralisation des appartenances privées, la République française fait sur l’homme. Elle postule l’existence en chacun d’une enclave de liberté, elle mise sur la capacité de tout individu, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, de faire un pas de côté par rapport aux déterminismes et aux appartenances. Non pas pour être jeté dans un vide identitaire, une abstraction prétendument libératrice, mais afin de prendre part à cette réalité supérieure, haute en couleur et en intrigues qu’est la nation.
Cessons donc d’être les dupes de toutes ces victimes autoproclamées de la civilisation française et recouvrons la fierté de nous-mêmes. Leur objet n’est ni la vérité ni la justice, mais une volonté opiniâtre de faire rendre gorge à la civilisation occidentale et singulièrement à la France. Leur « logique » est la suivante : nous aurions contracté, historiquement, une telle dette à leur endroit qu’ils seraient comme autorisés à tirer des traites sans fin sur notre capital civilisationnel. Et c’est là que la généalogie victimaire joue un rôle essentiel, se présenter comme des « fils et filles » d’esclaves ou de colonisés, du simple fait de leur couleur de peau, permet des demandes exorbitantes. Verra-t-on un jour sortir des rangs des indigénistes ou des décoloniaux un esprit digne du courage et de la lucidité d’un Finkielkraut et capable d’écrire « L’Esclave ou le Colonisé imaginaire » ? ■
Bérénice Levet
* Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie. Elle a fait paraître Libérons-nous du féminisme ! aux éditions de l’Observatoire, 2018. Elle avait publié précédemment « Le Crépuscule des idoles progressistes » (Stock, 2017) et « La Théorie du genre ou Le Monde rêvé des anges », préfacé par Michel Onfray (Livre de poche, 2016).
Les Français DOIVENT se réveiller face à ces révolutionnaires ignares, car en détruisant les fondations de la France, c’est le pays entier qui risque de disparaître. Ceux qui veulent détruire notre passé sont ceux là mêmes qui ont trahi la classe ouvrière, et doivent donc trouver de nouveaux partisans pour donner l’impression d’exister