LE COMMENTAIRE DE PIERRE BUILLY.
Marius (1931)
L’épitaphe de Marcel Pagnol sur sa tombe, au cimetière de La Treille, empruntée à Virgile, porte Fontes, amicos, uxorem dilexit (Il aima les fontaines, ses amis et sa femme).
C’était un être absolument doué pour la vie et le bonheur, qui en saisissait toutes les douceurs et les richesses. Et la vie, bonne fille, lui rendait bien cette grâce, en le comblant de tous ses dons, celui de faire de très bonnes affaires, sans doute mais sûrement aussi de comprendre avant tout le monde vers quoi il fallait naviguer.
Si l’on excepte, en second plan, Yves Mirande, il y a deux grands auteurs de théâtre qui ont saisi que l’art majeur du 20ème siècle serait bien le cinéma et qui s’y sont donné avec verve et passion, lui apportant d’ailleurs bien souvent des innovations d’une extrême modernité : ce sont Marcel Pagnol et Sacha Guitry ; et le premier, né en 1895, a commencé dès 1931 avec Marius, alors que le second, qui avait dix ans de plus, a attendu 1936 pour tourner Le Nouveau testament. Pagnol contrôlant production, distribution, diffusion avait d’emblée pris la main.
Donc Marius. La magie, la merveille, le rire, la farce, le mélodrame, les cœurs secoués, les grands bateaux qui partent au bout du monde, le mandarin-cassis, les coquillages du Vieux Port, la voilerie de Maître Panisse, la partie de cartes, l’appel de l’aventure…
Et la fille qui faute, si importante dans toute l’œuvre de Pagnol (Angèle, Regain, La fille du puisatier, Naïs), la faute qui frappe l’Honneur d’une famille (celui qui, comme les allumettes, ne sert qu’une fois). Cette sorte de nasse fatale dans quoi s’étranglent les belles amours et qui présagent les vies presque gâchées (nous verrons cela à la fin de César). Il a fallu beaucoup d’habileté à Pagnol, mais aussi beaucoup de substance et d’intelligence pour donner à cette pauvre petite histoire de mastroquets et de boutiquières une dimension aussi universelle et quelquefois aussi déchirante.
On pourra se demander pour l’éternité ce que serait la Trilogie sans la tête de gourde insupportable d’Orane Demazis, qui n’a rien de la fragilité du personnage de Fanny, et rien de sa beauté légère ; on pourrait se poser la même question pour le jeu corseté de Pierre Fresnay (mais j’expose mon point de vue là-dessus sur le fil de Fanny). En revanche on ne peut pas imaginer les trois films sans l’évidence de Raimu (et bien qu’Harry Baur et, bien plus tard, Henri Vilbert aient fait bonne figure au théâtre) et de Charpin. C’est absolument miraculeux et admirable.
Cela étant, je ne hausse pas ma note jusqu’au chef-d’œuvre, parce que c’est un soupçon trop long et quelquefois – rarement – un peu verbeux. Aucun des trois films n’est exceptionnel. Mais la Trilogie, oui, c’est un chef-d’œuvre… ■
DVD comportant les 3 films Marius, Fanny, César autour de 60 €
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