PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro du 24 juillet. Nous ne la publions qu’aujourd’hui. Mathieu Bock-Côté y explique comment, soumise désormais à une nouvelle transcendance – l’impératif catégorique diversitaire – la volonté populaire censée fonder la démocratie, n’est plus aujourd’hui qu’un contre-pouvoir, fermement contenu dans d’étroites limites par une avant-garde consciente comme dans les régimes totalitaires du siècle passé. L’enjeu – radical, cette fois-ci – est de savoir si la France restera ou non elle-même, si les Français resteront maîtres chez eux, ou s’il en seront dépossédés. C’est le moment, pour nous tous, et même, s’il y consent, pour Mathieu Bock-Côté, de relire sur ce sujet à proprement parler vital, les phrases fort anciennes et en même temps si actuelles, de Maurras : « Ce pays-ci n’est pas un terrain vague. Nous ne sommes pas des bohémiens nés par hasard au bord d’un chemin. Notre sol est approprié depuis vingt siècles par les races dont le sang coule dans nos veines. La génération qui se sacrifiera pour le préserver des barbares et de la barbarie aura vécu une bonne vie »*.
* On lira une version plus complète de ce texte dans l’article qui suit. Nous l’avons publié bien souvent. Et nous le referons encore pour nos jeunes lecteurs, pour ceux qui nous rejoignent. Et pour forger entre lecteurs de JSF un esprit commun.
Le pouvoir démocratique qui repose sur la souveraineté populaire, est devenu un contre-pouvoir, le dernier lieu où peut s’exprimer politiquement l’insurrection contre cette dépossession généralisée.
La multiplication des « incivilités », pour reprendre l’exaspérant euphémisme privilégié par la classe politique et le système médiatique, a marqué la plus récente actualité française.
Non seulement les zones de non-droit se multiplient mais les forces de l’ordre elles-mêmes sont la cible de ces voyous qui revendiquent sans gêne le titre de « racailles » capables de la violence la plus outrancière, qui font ainsi régner une terreur ordinaire dans les « territoires perdus de la République », et même au-delà.
Le commun des mortels, quant à lui, ne se laisse plus bluffer par le mirage du vivre-ensemble, comme en témoigne l’appel récurent à dévoiler le nom des agresseurs. Avec cette demande, le peuple envoie un signal clair au régime diversitaire : nous savons ce que vous nous cachez. Le mensonge par omission est une technique de falsification du réel reconnue. Mais le récit médiatique a beau vouloir égrener en mille faits divers cette réalité, l’ensauvagement du pays a une dimension politique. Qui peut dire sans gêne aujourd’hui que la diversité est une richesse sans faire rire de lui et susciter les plus vives moqueries ?
Il est fascinant, dans ce contexte, de voir à quel point la mouvance indigéniste, qui a trouvé son égérie en Assa Traoré, est parvenue à confisquer le récit médiatique, en laissant croire que la France serait un pays soumettant ses immigrés à une persécution policière généralisée. Devant elle, le pouvoir a eu la tentation un instant de mettre le genou à terre. La complicité objective des journalistes-militants qui normalisent des concepts venus de l’extrême gauche américaine comme s’il s’agissait de grandes découvertes des sciences sociales contribue à cette déformation schizophrénique du réel. Après le concept de racisme systémique et ceux de privilège blanc et de fragilité blanche, c’est maintenant celui de « micro-agression » que la presse officielle entend imposer. Apparemment, la vie en France serait insoutenable pour les gens issus de l’immigration parce qu’on leur demanderait au fil des conversations quotidiennes leur pays d’origine ou celui de leur parent. L’antiracisme traduit ainsi les codes ancestraux de la politesse et de l’hospitalité en manifestations d’un racisme insoutenable ne disant pas son nom. Cette culpabilisation du simple bon sens a de quoi rendre fou.
Le fait est qu’en France comme ailleurs, le récit médiatique, censé mettre en perspective l’existence collective, est confisqué par la gauche radicale et ses compagnons de route qui entraînent la société dans son délire. C’est l’avant-garde progressiste qui détermine l’agenda politique, comme en témoigne le retour en force de la question bioéthique. L’emportement sociétal n’est pas le fruit d’une revendication populaire mais bien d’une volonté de pousser la déconstruction des invariants anthropologiques jusqu’à son terme. Il faut convenir que ce dédoublement du monde entre le réel et son double médiatico-idéologique inversé frappe toutes les sociétés occidentales. On peut le constater avec la polémique absurde qui a frappé J.K. Rowling en juin dans l’univers anglo-saxon, pour avoir rappelé que l’homme et la femme ne sont pas interchangeables et que « l’identité sexuelle » d’une personne n’est pas sans liens avec son anatomie et la biologie. Les contrôleurs de la circulation idéologique ont crié au dérapage scandaleux, d’autant que l’auteure de Harry Potter était jugée multirécidiviste. Les vérités plurimillénaires de l’humanité peuvent désormais basculer dans la catégorie des propos haineux.
La révolte populiste est en bonne partie une protestation contre cette censure du réel. Il y a quelque chose d’odieux à assimiler au fascisme le simple désir d’être maître chez soi, de ne pas en être expulsé symboliquement, de ne pas craindre pour la vie de ses enfants et de ne pas souhaiter être refoulé dans la France périphérique pour accéder à la propriété. Le droit de dire que 2 +2 = 4, qu’un homme n’est pas une femme, et qu’il serait bien que la France ne devienne pas étrangère à elle-même est désormais compromis.
Qu’est-ce qu’un monstre, aujourd’hui ? C’est un citoyen qui refuse d’être rééduqué par la police de la pensée. Le régime diversitaire n’a plus rien à voir avec la démocratie. S’il maintient à la manière d’une politesse obligée le rituel électoral, il fait tout pour le vider de sa substance, en transférant la souveraineté vers les juges et la bureaucratie. Le pouvoir démocratique qui repose sur la souveraineté populaire, est devenu un contre-pouvoir, le dernier lieu où peut s’exprimer politiquement l’insurrection contre cette dépossession généralisée. L’heure est peut-être venue des Gaulois réfractaires. Reste à voir qui saura tenir leur étendard, avec le panache, le courage et l’intelligence nécessaires pour s’opposer à un régime qui dénature la démocratie en prétendant l’accomplir. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Ce régime voyant la majorité de ses électeurs la déserter, n’a eu de cesse d’essayer d’en trouver de nouveaux qui seraient ses obligés, minorités sexuelles, immigrés de deuxième ou troisième génération, importation et nationalisation à tout va d’immigrés récents. L’indulgence, pour ne pas dire la complaisance, envers les « racailles » participe de cette politique. Mais le mouvement naturel des racailles restées impunies les porte à s’assurer le contrôles de territoires soumis à leur trafics et à renforcer leur emprise sur leurs séides,(incidemment le mot vient de Saïd compagnon de Mahomet) nous allons donc vers une guerre de gangs et l’exemple du Salvador avec les « maras » vient nous montrer jusqu’où va la dérive. Le régime n’ayant pas intérêt à rétablir l’ordre et la cohésion nationale, la nomination de B. Stora en est un nouvel exemple, la ressource est certes la reprise du contrôle par la démocratie, i.e. l’élection, mais ne pensez-vous pas que le pays réel semble délaisser cette option et se tourner vers la désobéissance civile, dernière étape avant l’insurrection?
Mathieu Bock-Côté a vingt fois raison et frappe juste. Je compléterais cependant son diagnostic sur les inspirateurs de cette dérive. Gauchisme, certes; électoralisme, aussi; refus ou rage face aux réalités sociales, biologiques, physiques, tout autant. Je vois aussi dans ces pseudo-élites (la vraie élite n’est pas concernée) une soumission aux modes née de l’ignorance et de l’irréflexion et l’entretenant. La mode, nec plus ultra pour un large secteur d’activités commerciales, imprègne leurs comportements. Rien d’étonnant si l’on considère que l’essentiel de la réflexion publique se passe à la télévision. Même quand elle (ou « IL » ) parle, la télévision ce sont des images, au mieux des slogans ou des « petites phrases ». Imaginons un journal, gratuit bien sûr, (ou plus largement,une école, une vie publique,…) fait ainsi d’images publicitaires, de slogans et de ragots, et soumis à une terrible concurrence. Qui donnerait le ton dans un tel journal ? les fomenteurs (dits « créateurs ») de modes, les fabricants d’images-choc et de mots d’ordre (mode-ordre ?). Qui le lirait? les esclaves des modes, les avides de ces mots nouveaux qui, pour la plupart, appauvrissent la langue, les chalands naïfs ou ahuris. Où seraient le texte et la pensée?
Remarquons aussi que ce système de la mode combine la soi-disant nouveauté et son rabachage envahissant…. jusqu’à la prochaine mode. Parfaites conditions pour l’apathie (aucune allusion) et le décervelage. Le pourcentage de parts de marché (monstre lexical, pain du jour d’aujourd’hui) comme idéal, la publicité et ses méthodes asséchant le débat public. Toutes les dérives alors sont rendues possibles.
@ Marc Verdier
Bien vu. Remarquable commentaire. Bravo !
(Le précédent aussi, d’ailleurs).