Par François Schwerer.
Il n’est ici question ni de religion ni de politique ou d’économie, mais d’histoire de la Marine française, en particulier dans le cours de la Grande Guerre. Il ne s’agit pas davantage d’une histoire exhaustive de la Marine française dans cette guerre, mais plutôt d’évocations de personnalités d’exception, d’épisodes, qui ont marqué le cours des événements. C’est-là un domaine malheureusement peu connu. D’où justement l’intérêt d’en traiter : pour nombre d’entre nous, ce sera une découverte. François Schwerer* a préparé et mis à jour, pour les lecteurs de Je Suis Français, une série de textes rédigés par ses soins. Nous les publierons sous forme de suite, au fil des jours de cet été. Bonne lecture !
Lorsqu’il présidait une cérémonie de baptême d’un bâtiment, l’amiral LACAZE disait souvent en s’adressant directement à l’équipage : « Mes enfants, vous pouvez être fiers du nom de votre bateau. Soyez-en dignes. Les corps s’en vont, les âmes restent. L’âme de celui dont vous portez le nom veille sur vous et vous protège. Son âme est à votre bord. Qu’elle vous serve d’exemple ». On a envie de le répéter à ceux qui vont servir sur la nouvelle Frégate de défense et d’intervention, Amiral Ronarc’h [1].
Né le 22 février 1865 à Quimper, fils de l’avocat Pierre-Marie Ronarc’h et de son épouse, née Amélie Guyot, Pierre-Alexis Marie entra à 15 ans à l’Ecole navale où il fut le benjamin de sa promotion. Toujours devant, « Petit Pierre » comme l’appelaient ses camarades de promotion, fut en 1914, le plus jeune amiral de la Marine nationale. Dès ses premiers commandements, calme, énergique et décidé, il se fit remarquer par son sens du combat et son respect des hommes. L’amiral Ratyé lui rendra hommage en 1933 : « il avait toutes les qualités qui font l’homme d’action, le chef » et il fut aussi « le meilleur des camarades ». D’un point de vue militaire, il ajoutera qu’il ne s’embarrassait pas « de phrases creuses et de théories vaines, marchant toujours droit au but ». Il savait, ajoutera-t-il dans ce portrait, « en imposer aux hommes et aux circonstances »[2].
Sans entrer dans le détail de sa longue et riche carrière qui l’a conduit sur toutes les mers du monde, rappelons cependant qu’en 1886, il se distingua au combat de Zilimajou (Grande Comore) où il fut blessé, puis sur les côtes du Dahomey où il participa à l’occupation de Grand-Popo, avant de sauver un navire marchand en perdition au large de Quiberon. Comme les premiers de son époque, il s’illustra en tant qu’officier canonnier sur le cuirassé garde-côtes Caïman en Méditerranée avant d’aller prendre le commandement du Torpilleur 159. Mais, au cours de ses sept premières années dans la Marine, on constate que Pierre-Alexis Ronarc’h avait essentiellement combattu à terre.
Grand pédagogue, il rédigea ensuite un manuel d’instruction à destination des apprentis pilotes dont il avait la charge à Rochefort. Breveté de l’Ecole supérieure de Marine en 1898 (sorti troisième de sa promotion), il fut nommé aide de camp de l’amiral Courrejoles, commandant en chef cde la Division d’Extrême-Orient, sur le d’Entrecasteaux dont le commandant était le capitaine de vaisseau (et futur amiral) de Marolles. A la fin du siècle il s’illustra pendant la guerre des Boxers, d’abord lors de l’occupation de Kwang-Tchéou-Wan, puis à la tête de l’artillerie du détachement français de la colonne envoyée par l’amiral Seymour pour secourir les délégations européennes bloquées dans Pékin en mai 1900. Trop faible, la colonne fut sévèrement défaite ; mais au terme de l’engagement, seul le détachement français avait réussi à sauver son artillerie, forçant l’admiration de tous. Bien plus, grâce à cette artillerie, il sauve les restes de la colonne Seymour le 22 juin devant Hsi-Kou. « Nos marins ont conservé leur canon, le seul de tout le détachement. Les marins étrangers, trop chargés, ont détruit les leurs au début de la retraite. Notre pièce fait merveille. Les Chinois se débandent. Le camp est investi » raconte Jean Randier dans son ouvrage sur « La Royale »[3]. Dans cette colonne, servaient deux officiers de marine anglais que Pierre-Alexis Ronarc’h retrouvera pendant la Grande guerre, les futurs amiraux Jellicoe et Beatty.
Devenu à 42 ans le plus jeune capitaine de vaisseau de la Marine française, il s’intéressa aux armes nouvelles, et fut ainsi à Rochefort le président de la commission d’essai des torpilles avant d’être chargé par le ministre de la Marine de la lutte contre les mines sous-marines dont la guerre russo-japonaise venait de démontrer le danger. Il mit alors au point un système de dragage particulièrement performant qui rendra d’immenses services pendant la Grande Guerre. Ce système avait un avantage important sur le système correspondant britannique, le rendant à la fois plus sûr et moins onéreux : il n’exigeait qu’un seul bateau pour le manœuvrer. Le câble qu’il trainait, sur lequel étaient fixés les cisailles qui libéraient les mines de leurs attaches leur permettant de remonter à la surface où elles étaient détruites au fusil, écartait de la coque du dragueur ces engins de mort. A l’inverse, l’aussière tendue entre les deux dragueurs anglais manœuvrant ensemble ramenait inexorablement les mines libérées vers l’une des deux coques. Au début de la guerre il sera encore amélioré pour être capable de rester efficace contre le double câble de l’orin qui reliait les mines allemandes à leur crapaud. Ultérieurement ce système de drague sera utilisé en hydrographie pour le repérage des roches isolées. C’est à cette époque que l’amiral Decoux le juge « autoritaire, fort en gueule, dur pour tous comme pour lui-même, mais il est apprécié comme un chef au grand cœur ».
Nommé en 1912 commandant des flottilles de l’Armée navale en Méditerranée sur le Bouclier, il fut particulièrement apprécié par son chef, l’amiral Boué de Lapeyrère qui comptait beaucoup sur lui. (À suivre, demain mercredi) ■
[1] Cette nouvelle frégate, première d’une série de cinq, a été mise en chantier à Lorient en novembre 2019, en présence du ministre des Armées, Madame Florence Parly.
[2] « La guerre navale racontée par nos amiraux », Schwartz, 1933.
[3] Editions Baqbouji – MDV Maîtres du Vent, 2006, p. 394.
*François Schwerer, Docteur en droit et en économie des entreprises, ancien banquier, est aussi un spécialiste de l’histoire de la Grande Guerre. Membre de la Société d’Histoire Maritime, il est l’auteur du livre La marine française pendant la guerre 14/18, publié aux Éditions Temporis (2017) et primé en 2018 (Prix « Bravo-Zulu » de l’Association des Officiers de réserve de la Marine nationale ). François Schwerer collabore à Politique magazine et à la Nouvelle Revue Universelle, sur des sujets de politique économique et sociale, de bioéthique, ou de politique religieuse. Il est l’arrière-petit-fils de l’amiral Schwerer (Photo) qui, après avoir servi dans la Marine française, fut président de la Ligue d’Action Française dans les années 1930. Il est aussi le fils de René Schwerer, longtemps président du mouvement royaliste en Languedoc-Roussillon, avec qui l’équipe de Je Suis Français a beaucoup collaboré au temps de JSF mensuel papier fondé en commun, et des rassemblements royalistes de Montmajour et des Baux de Provence.
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