Par Christian Franchet D’espèrey*
Extrait de l’éditorial [Quatrième et dernière rubrique] du n° 58 de la Nouvelle Revue Universelle, revue dont on sait qu’elle fut fondée par Jacques Bainville en 1920. Le thème tourne autour du titre d’un ouvrage de Jacques Paugam lui-même déjà ancien , L’âge d’or du maurrassisme.
Le dernier aspect du nouvel âge du maurrassisme, le plus vital sans doute, le plus nécessaire à son expansion, est l’effort qu’il fait sur lui-même pour exprimer l’essentiel de ce qui le constitue.
Il s’agit, pour le maurrassisme, de circonscrire, dans l’accessoire, ce qui n’a plus lieu d’être ou peut nuire à son unique combat « pour une patrie, pour un roi, les plus beaux qu’on ait vu sous le ciel ». Pour désigner ce travail, nous avons retenu le beau mot italien d’aggiornamento, en associant au sens de « mise à jour » non pas l’idée naïve et rétrécie de « mise au goût du jour », mais celle de « mise au jour » de l’essentiel : une redécouverte par les maurrassiens de leur propre patrimoine, en même temps qu’un effort pour nettoyer le maurrassisme de toutes les interprétations abusives qui en ont été faites.
Parmi elles, le racisme, question sur laquelle nous sommes parfaitement au clair comme l’était Maurras lui-même. De même que pour l’antisémitisme, glissements de sens et amalgames abusifs n’ont cependant pas manqué. Après Victor Nguyen qui avait commencé à traiter, et après Pierre Debray, Axel Tisserand s’y est attaqué dans son Actualité de Charles Maurras. Ce qui a provoqué une réaction significative de Pierre de Meuse que nous publions en page 105, et une mise au point à nos yeux définitive d’Axel Tisserand. Cependant, dans notre perspective d’aggiornamento actif, cette recherche sera approfondie en nous appuyant notamment sur les travaux de Pierre-André Taguieff. Il s’agit de montrer en quel sens le maurrassisme est fondamentalement un antiracisme. Un sens tout à fait opposé au pseudo-antiracisme idéologique actuel qui, par le biais de la discrimination dite « positive », débouche sur un racialisme forcené…
Il faut également revenir sur la notion maurrassienne d’États confédérés, ce que l’on fera en trois temps. Il convient d’abord de resituer la formule dans son époque d’origine, celle des grandes polémiques antireligieuses et antimilitaristes de la fin du XIXe siècle et du début du Xxe. Il faut ensuite en expliciter le sens exact. Maurras estimait que des représentants des communautés protestante et juive, ainsi que des francs-maçons et des « métèques » influents avaient pris un poids considérable dans l’État – et que la « confédération » de ces influences amenait l’État à prendre des décisions qui n’allaient pas dans le sens de l’intérêt de la majorité des Français (les « métèques », précisons-le, n’avaient rien à voir avec les immigrés réguliers, régularisés ou clandestins d’aujourd’hui ; Maurras entendait ce mot dans son sens grec, dépourvu de connotation péjorative : des étrangers qui, pour être admis à s’installer sur le territoire, s’étaient vu reconnaître de nombreux droits, mais pas celui de participer aux affaires publiques.) Il reste – c’est le troisième point – que ce concept d’États confédérés ne peut plus, dans la France d’aujourd’hui, être appliqué tel quel. Non qu’il n’y ait plus d’États dans l’État, mais leur statut, leur composition et leur rôle se sont radicalement transformés. C’est l’un des sujets de réflexion du sociologue Michel Michel, dans son article de la page 79. Questionnant le devenir des notions de pays légal et de pays réel, il montre que celle d’États confédérés est entièrement à revisiter.
Le plus raisonnable, parce que le mieux raisonné, des modes d’emploi Un « autre Maurras », pour reprendre le titre du livre de Gérard Leclerc, cela signifie-t-il un Maurras tout autre ? On l’aura peut-être remarqué : Maurras est mort. Cela fera même bientôt soixante-dix ans. S’il revenait aujourd’hui, utiliserait-il à la lettre ses mots de 1900, de 1930, de 1950 ? Oui, sans aucun doute pour ses découvertes fondamentales : comment dire autrement l’« empirisme organisateur », le « politique d’abord », le « pays réel » ? Comment, à l’heure d’Internet, ne pas s’interroger sur « l’avenir de l’intelligence » ? Et sur la « politique naturelle » quand surgit le transhumanisme ? Mais il est non moins certain que, pour parler des réalités nouvelles, il utiliserait un vocabulaire adapté, et surtout renouvellerait ses analyses, créant sans doute de nouvelles formules, voire de nouveaux concepts. Comment croire qu’il ne se serait pas passionné pour les réflexions constitutionnelles sur la tradition des légistes chère à Bertrand Renouvin, dont Pierre Debray se faisait l’écho dès 1962 ? Qu’il ne se serait pas interrogé avec Boutang sur le consentement populaire comme fondement de la légitimité ?
Qu’il n’aurait pas questionné avec Debray le devenir de notre société industrielle ? Qu’il n’aurait pas tiré des conclusions de la déroute du militarisme allemand en 1945 ? Qu’il n’aurait pas observé attentivement l’apparition d’un nationalisme juif ? D’ailleurs, sur ces deux derniers points, du fond de sa prison de Clairvaux, c’est précisément ce qu’il a fait. De même qu’il affirmera la nécessité pour la France de disposer d’une force de frappe nucléaire, le monde étant devenu trop dangereux pour que nous puissions nous passer à la fois de la protection qu’elle assure et du poids diplomatique qu’elle confère.
C’est là tout le sens que peut prendre le maurrassisme en ce XXIe siècle qui atteint ses 20 ans, âge de l’adolescence, âge de tous les dangers et de toutes les espérances. L’avenir radieux que nous ont promis les générations précédentes est peu à peu en train de virer au cauchemar.
Les illusions ont la vie dure, mais le doute, l’inquiétude, l’angoisse étendent de plus en plus leur empire. La chrétienté sait en quoi elle met son espérance, mais le Dieu des juifs et des chrétiens attend de l’homme qu’il prenne en charge son destin. Et en ce Dieu là, le non-croyant Maurras n’a jamais cessé de croire. Et pour savoir ce qu’il faut faire pour pouvoir « vivre ensemble », il propose le plus raisonnable, parce que le mieux raisonné, des modes d’emploi. Cette revue a entrepris de le redécouvrir, et de le faire découvrir à ceux qui l’ignorent. Elle en est convaincue : en ces temps de détresse, il y a là une planche de salut pour prévenir le « triomphe du Pire et des pires ». ■
* CHRISTIAN FRANCHET D’ESPÈREY, rédacteur en chef de la Nouvelle Revue Universelle
Quelques éléments de débat, des objections pertinentes
Elles émanent de Michel Michel, exprimées ailleurs*, où elles n’ont pas été relevées. Nous les reprenons ici, car nous en partageons l’essentiel. Elles touchent à l’avenir même d’une école de pensée et d’action qui doit certes demeurer une pensée vivante mais, justement, dans un esprit de développement et non de soumission ou de corruption par la pensée dominante.
Ce que dit Christian est bel et bon (même si on peut contester la valorisation du mot d’aggiornamento de sinistre mémoire pour les catholiques). Une pensée vivante se renouvelle.
Mais attention ! La tentation de vouloir plaider sa « non-culpabilité » auprès des idéologues de la pensée dominante serait une reconnaissance de la légitimité de l’hégémonie en place. Expliquer le sens d’une position en fonction du contexte qui a sans doute changé est une chose, mais prendre les critères de nos adversaires pour demander des circonstances atténuantes en est une autre.
S’attaquer à la république, c’est aussi s’attaquer aux « valeurs » et critères qui constituent l’hégémonie sur laquelle elle s’appuie. « Arrondir les angles » peut-être contre-productif. Il faut continuer à donner des coups de boutoir réactionnaires contre l’hégémonie. en adaptant les armes et ne pas s’étendre sur ce qui n’est plus pertinent plutôt que de s’en excuser. C’est ça l’empirisme organiseur. La tradition est critique . Laissons le traitement des scories aux historiens…
Faire la critique des armes oui ; désarmer non. Trouver de nouvelles armes, écarter celles qui ne sont plus efficaces évidemment, Savoir parler le langage des dominants, dans une certaine mesure c’est nécessaire pour bien combattre; mais ne pas conserver son langage propre serait suicidaire.
Il ne faut pas laisser le soin d’arbitrer sur la justesse de nos positions aux idéologies dominantes que nous combattons. C’est aux dominants à chercher à réduire les différences cognitives, à tenter une synthèse, ce n’est pas aux dominés. Jacques Ellul avait montré cela dans son ouvrage « propagandes ». Le plus faible ne peut « exister » qu’en refusant les concessions..
L’asymétrie du rapport de forces amène le dominant à faire percevoir l’hégémonie comme « consensus », comme « naturel », ou comme « inévitable ».
Le dominé ne peut se faire entendre qu’en cassant cet apparent consensus par l’arrête « intolérante » de ses positions. Telle est la loi dans le combat idéologique : l’efficacité se paye par l’impopularité auprès des dominants et de ceux qu’ils influencent. ■
* LFAR le 29 juillet
Actualiser plutôt qu »Aggionamento » ce dernier terme ayant la possibilité de confondre par imprécision. Actualiser un message n’est pas l’adapter au gout du jour mais le mettre dans un langage actuel pour une meilleure compréhension; je comprends que c’est ce que veut Christian Franchet d’Esperey et peut-être ce que voulait et faisait l’Eglise jusqu’à Vatican II.
Tous les auteurs cités dans l’article se sont efforcés de rendre Maurras actuel, et qu’ils continuent à le faire est essentiel pour le concept des quatre états confédérés en particulier et le pseudo-racisme de Maurras, qui reste pour nos adversaires la meilleur façon d’attaquer sa pensée. Peut-être faut-il lancer une « Nouvelle Enquète sur la Monarchie »?
Plus que son « racisme »antisémitisme , communément partagé à l’époque en tous milieux , c’est vraisemblablement la réactualisation du royalisme qui est et sera toujours motif de haine de la part des républicains , des démocrates (au sens actuel ) ; toute tentative de censure semble alors vaine ; donc : Charles Maurras , avec le temps , épouvantail à républicains , c’est parfait !
A la place d « aggiornamento » , il y a d’autres auteurs , dans la suite , laissant l’écume et renouvelant la vague ( auteurs que le site fait découvrir ) .
Entièrement d’accord avec Michel, ce serait une grande erreur que de nous lancer dans une stratégie de l’excuse sur un certain nombre de points tout à fait conjoncturels et à la mode. Nous n’aurions rien à y gagner, bien au contraire, comme le soulignait Kafka : « accusé, cessez de plaider en faveur de votre innocence vous pourriez nous faire croire que vous êtes coupable. ». Par ailleurs si l’expression aggiornamento me gêne également quelque peu, celle de maurrassisme me gêne encore davantage, laissant penser à une idéologie, c’est à dire le contraire de la pensée maurrassienne. Bien entendu, connaissant Christian Franchet, je me garderai bien de lui faire un procès imbécile en la matière. Je suis maurrassien c’est-à-dire adepte d’une méthode de raisonnement celle de l’empirisme organisateur qui suffit pour moi à définir l’essentiel de la pensée d’Action Française. MAIS!, Appliquer rigoureusement la méthode peut, doit ? nous conduire à des révisions déchirantes en renonçant par exemple aux réflexes conservateurs trop souvent adoptés au nom de « la politique du pire qui serait la pire des politiques ». Encore faudrait-il s’attacher à définir le pire… Autre exemple, qui n’est pas une simple provocation, beaucoup de conférences, articles et publications diverses se terminent presque toujours par une diatribe anti-républicaine. Mais le mot de république n’est plus aujourd’hui qu’une légitimation verbale du système. La république est morte, il serait temps d’en signer le faire-part de décès. Ses assises se sont effondrées les unes après les autres : la raison devenue folle, la nation au sens jacobin, l’école, le contrat social, plus ridicule encore le pacte républicain, c’est un véritable champ de ruines. La pauvrette avec son individualisme qu’elle pensait compenser par son jacobinisme a fait le lit du libéralisme qui l’a tranquillement digérée. Aujourd’hui, c’est bien la pensée libérale, arme de destruction massive des sociétés qui est notre ennemi mortel. Mais elle est difficile à combattre car protéiforme et difficile à caractériser pour la plupart des gens, surtout s’ils sont ou se disent « de droite » et cathos.
Triste réalité à laquelle nous devons adapter nos logiciels. N’est-ce pas un beau sujet, parmi d’autres, susceptible d’entraîner quelques discussions et confrontations. Sommes-nous prêts à réviser nos classiques ?
Tant que l’on ne définit pas sans ambiguïté le vocabulaire que l’on emploie, il n’y a pas de raisonnement « au clair » ni de doctrine « définitive », quoique puisse dire Christian. Et il ne suffit pas de dire: « Je pense comme Maurras » pour faire taire toutes les objections.
On n’est pas obligés de revenir à l’Affaire Dreyfus pour faire l’apologie de l’Action Française.
Coupable ou non, laissons la chose aux érudits historiens; mais dénonçons aujourd’hui les « gens moraux » qui prétendent trouver des prétextes « droitdel’hommesques » pour déconstruire le Bien Commun de la France.
La politique des renoncements, des renonciations, a pour seul effet d’affaiblir ceux qui s’y essaient. S’il y a des virages à prendre, on en discute, on essaie d’obtenir un consensus large, inter-régional et intergénérationnel, on en décide entre soi et on applique. Inutile de s’imaginer qu’en le proclamant urbi et orbi on s’attirera les bonnes grâces de nos adversaires. C’est une illusion d’amateur. Un mouvement politique qui se respecte ne se renie pas. Il s’explique, contextualise, assume.