Je Suis Français a beaucoup publié à propos du dossier turc. S’y trouve en effet renaissante l’une de ces ambitions nationales – en l’occurrence impériale – qui créent en divers points du globale des foyers de tension pouvant fort bien un jour ou l’autre déboucher sur une ou plusieurs déflagrations de grande ampleur. C’est le cas, on le sait, en mer de Chine du fait des objectifs de Pékin : établir son hégémonie sur cette vaste zone et récupérer Taïwan, ce qui n’est pas une mince entreprise. Il ne devrait pas être très difficile d’en imaginer les conséquences. La Méditerranée se trouve dans un cas assez similaire, où le rêve ottoman est ravivé par Erdogan sous forme d’initiatives symboliques de grande portée, telle le retour de Sainte-Sophie au statut de Mosquée, ou d’actions de terrain rondement menées, comme en Syrie, en Libye, ou à Chypre. Annie Laurent, Antoine de Lacoste, Louis-Joseph Delanglade en ont traité récemment dans JSF, ainsi que Pierre de Meuse, il y a quelques mois. (Recherche dans notre catégorie Politique Monde ou au nom des auteurs cités).
Le Figaro a consacré au dossier turc son éditorial de ce mardi, signé de Patrick Saint-Paul, où l’essentiel nous semble avoir été dit à la lumière des derniers développements de l’actualité. Nous le reprenons ici pour nos lecteurs.
L’éditorial du Figaro, par Patrick Saint-Paul.
La canonnière et les drones ont remplacé le sabre.
L’objectif est clair. Le nouveau « Sultan » veut projeter l’ancienne puissance impériale au-delà de ses frontières, comme au temps de Mehmet II, et rendre à la Turquie sa fierté. Après avoir converti l’ancienne basilique byzantine Sainte-Sophie en mosquée, le 10 juillet, « Erdogan le Conquérant » a de nouveau convoqué l’Histoire pour justifier un revirement dans sa politique régionale en entérinant la fin du « zéro problème avec les voisins ».
Penché sur des cartes, il a tracé de nouvelles lignes de partage en Méditerranée avec son protégé libyen, Fayez al-Sarraj, qui après avoir été lâché par ses alliés occidentaux a été forcé de céder au président turc. Pour Recep Tayyip Erdogan, cette « nouvelle coopération militaire et énergétique » aurait renversé le traité de Sèvres, qui avait dépecé l’Empire ottoman après la Première Guerre mondiale… Nul et non avenu, révisé par celui de Lausanne, ce traité continue pourtant d’incarner les humiliations infligées au pays dans l’inconscient collectif turc.
La question des frontières maritimes empoisonne depuis des décennies les relations entre la Turquie et son voisin grec. La tension est exacerbée depuis la découverte de gisements de gaz naturel, qui attisent la convoitise du « Sultan ». La Turquie est seule face à la Grèce, Israël, l’Égypte et Chypre, qui – soutenus par les Occidentaux – projettent d’exporter le gaz naturel vers l’Europe. Erdogan dénonce un nouveau « dépeçage » de la nation par des « ennemis extérieurs » – essentiellement les Occidentaux – et dit avoir confiance dans les capacités de son armée.
Fragilisé par la crise économique et le soutien faiblissant à son parti, l’AKP, Erdogan a promis aux Turcs qu’ils auront leur juste part de cette manne. Il a ordonné des forages au large de Chypre et à Kastellorizo. Les navires d’exploration sont escortés par des bâtiments de guerre, provoquant une dangereuse escalade dans les eaux grecques. Erdogan a reculé face aux menaces de sanctions européennes. Mais il ne cédera pas. La bataille pour les richesses de la Méditerranée orientale ne fait que commencer. ■
Rédacteur en Chef du Service international