PAR PIERRE BUILLY.
Coup de torchon de Bertrand Tavernier (1981).
La noirceur absolue.
Résumé : Lucien Cordier, unique policier d’une petite bourgade africaine, au milieu des années 30, est un être faible. Sa femme le trompe, les proxénètes le provoquent ouvertement. Le représentant de l’ordre est la risée du village.
« Noir, c’est noir« , comme dit l’autre ! Et lorsqu’on fait adapter un roman noir d’un auteur noir (« 1280 âmes » de Jim Thompson) par un scénariste noirissime, Jean Aurenche, il y a toute chance pour que le résultat soit des plus sombres !
Aurenche est (avec Bost) le scénariste habituel des films d’Autant-Lara dont on peut dire que l’Humanité n’est jamais présentée sous un jour riant (à preuve, pour qui en douterait, La traversée de Paris ou, mieux encore, L’auberge rouge), mais toujours dans une optique sarcastique : c’est moins les drames individuels, la douleur des malheureux que les ridicules de l’espèce humaine et cette sorte de nocivité qui lui est inhérente.
Coup de torchon est le film de Tavernier sûrement le plus proche d’Autant-Lara, parce qu’il ne donne aucun espoir, n’offre aucune ouverture, ne présente aucun personnage positif ; il n’y a là que cinglés, salauds, lâches, brutes, crétins satisfaits, salopes vulgaires, nymphomanes idiotes et autres spécimens d’une humanité dégoûtante ; on voit très bien pourquoi, à la fin Lucien Cordier (magistral Philippe Noiret) tire sur tout ce qui bouge et serait prêt à exécuter le monde entier si la chose lui était possible : parce que le pus et la sanie débordent de partout, et recouvrent la terre, comme l’implacable soleil d’Afrique recouvre la savane.
Le désespoir est aussi aveuglant que ce soleil-là, et il n’y a pas un Juste qui mérite qu’on retienne les coups du tireur pour que la Cité soit sauvée.
Distribution éclatante : Isabelle Huppert en contre emploi total d’une idiote folle de son corps, Stéphane Audran en acariâtre épouse adultère, Eddy Mitchell excellent en pique-assiette lâche et agressif tout à la fois, Guy Marchand en réclame vivante de la veulerie, Jean-Pierre Marielle et Gérard Hernandez en salopards complets, cruels, racistes, brutaux…
La musique obsédante, désespérante, déchirante de Philippe Sarde, la photo de Pierre-William Glenn, les décors d’Alexandre Trauner rivalisent de qualité.
Un film prodigieux, méchant comme tout, rare dans le cinéma français… ■
DVD autour de 10 €
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La vraisemblance est une qualité essentielle d’un film. Or, là, tout est invraisemblable. Une bourgade africaine avec UN policier, blanc de surcroît, ça n’existait pas. Un exploitant de salle de cinéma, blanc lui aussi, qui vit de son métier dans ce « trou », à qui le fera-t-on croire? Idem pour un bordel de femmes blanches, avec deux souteneurs ostensibles. Le racisme éclatant d’un Guy Marchand n’aurait évidemment pas été toléré. Une institutrice blanche isolée dans un bourg africain, ça non plus ce n’est pas réaliste. Un colonel à la tête de quelques dizaines de tirailleurs…Tavernier ne se rend sans doute pas compte qu’à l’époque, le plus gradé dans nombre de territoires était capitaine ou commandant! Ne parlons pas de certaines scènes ridicules comme celle de l’aveugle « fou » dans le train. Le réalisateur a réuni quelques Européens et Européennes pour les intégrer à une intrigue en Afrique, une Afrique imaginaire. Sans intérêt.
Je partage l’avis d’Escaich. En fait Tavernier rêve le passé à l’image de ses préjugés historiques. Ce n’est pas nécessairement stupide, mais cela ne peut être apprécié que par ceux qui les partagent, soit par fanatisme, soit, pour l’immense majorité, par ignorance et panurgisme. Il en est de même pour les films de Tarantino, notamment Django déchaîné, qui décrit sous le nom de Sud (avznt la Guerre de Sécession) un monde improbable et imaginaire, celui du mal absolu. Cela commence à faire!
Pour compléter, je dirai que presque tous ceux qui prétendent faire une oeuvre littéraire ou cinématographique sur l’Afrique coloniale, ont lu le Voyage au bout de la nuit et veulent plaquer les fantasmes de Céline sur le « travail » qu’ils accomplissent. Sur l’Asie coloniale ainsi, des navets indigestes, comme Indochine ou l’Amant …
Reprécisons d’abord que Tavernier a transposé en Afrique un roman qui se déroule aux États-unis, alors que dans « L’horloger de Saint Paul » il avait à l’inverse situé à Lyon un livre de Simenon qui se passe en Amérique.
Mais le créateur a tous les droits, y compris, bien entendu, de se moquer du réalisme, de grossir le trait, de caricaturer les situations pour mieux faire entendre son propos.
Car c’est moins l’Afrique coloniale que fixé le réalisateur que l’épouvantable bourbier du confinement et de la haine de soi. Revoir les dernières images où Noiret scrute le monde avec un dégoût et une haine palpables.
Le réalisme n’est qu’une des multiples facettes du cinéma (ou de la littérature ou de n’importe quoi). Sont-ils réalistes les films de vampires ? Sont-elles réalistes les comédies musicales où les acteurs en plein milieu de l’action, se mettent à chanter et à danser ?
Je conçois que l’on puisse ne pas apprécier Tavernier qui était là dans sa période la plus à gauche. N’empêche que « Coup de torchon » est un film d’une grande intensité haineuse et grinçante. On dirait presque de l’Autant-Lara…
En tout cas , vu la description que fait Pierre Builly , le film est alléchant ; avec également les invraisemblances relevées ; le risible déduit de celles-ci venant, en quelque sorte , ajouter au film .
J’ai trouvé ce film excellent. La critique et la mise au point de Pierre Builly sont, comme d’habitude, remarquables.