Par François Schwerer.
Il n’est ici question ni de religion ni de politique ou d’économie, mais d’histoire de la Marine française, en particulier dans le cours de la Grande Guerre. Il ne s’agit pas davantage d’une histoire exhaustive de la Marine française dans cette guerre, mais plutôt d’évocations de personnalités d’exception, d’épisodes, qui ont marqué le cours des événements. C’est-là un domaine malheureusement peu connu. D’où justement l’intérêt d’en traiter : pour nombre d’entre nous, ce sera une découverte. François Schwerer* a préparé et mis à jour, pour les lecteurs de Je Suis Français, une série de textes rédigés par ses soins. Nous les publions sous forme de suite, au fil des jours de cet été. Bonne lecture !
C’est bien l’équipe ministérielle nouvellement installée qui est seule à l’origine de cette évacuation, comme le rappellera l’Echo de Belgrade, le 11 novembre 1936 en informant ses lecteurs de la disparition de l’amiral Schwerer : « Le 29 octobre 1915, l’amiral Lacaze, ministre de la Marine, prenait pour chef de cabinet le commandant Schwerer, bientôt nommé contre-amiral.
Les deux amiraux se trouvèrent en face de problèmes très ardus. Dès décembre 1915, en effet, après l’héroïque retraite des armées serbes, ils eurent à organiser l’évacuation, le ravitaillement des Serbes, soldats et réfugiés, en même temps que le transport du Corps expéditionnaire français vers Salonique. Le rôle joué dans l’histoire des Serbes par la Marine française, et qui a laissé dans ce pays un impérissable souvenir, c’est la double personnalité Lacaze-Schwerer qui le conçut et le réalisa. Ainsi, passant outre à certaines lenteurs interalliées, les deux amiraux décidèrent-ils, tout d’abord de diriger les premiers transports serbes sur Bizerte. Ce sont eux, également, qui, après accord avec l’Angleterre et l’Italie, organisèrent l’évacuation de l’armée serbe sur Corfou, opération qu’ils firent protéger par toute l’escadre des croiseurs de la Méditerranée. Puis, au printemps 1916, sous la haute autorité des deux amiraux, eut lieu le transport de l’armée des volontaires yougoslaves vers le camp retranché de Salonique.
La guerre sous-marine rendait ces opérations très difficiles : on doit en grande partie à l’amiral Schwerer l’adoption d’une technique et d’une tactique du convoi maritime qui sauvèrent d’innombrables vies humaines. Grâce à ces savantes dispositions toute l’armée serbe passa, du 14 avril au 30 mai 1916, sur une mer où foisonnaient les sous-marins ennemis, sans qu’on eut à déplorer un seul noyé ».
A côté de l’opération militaire proprement dite il a fallu que le ministre déploie des trésors de persuasion pour arriver à faire passer auprès du président du Conseil hésitant, une opération qui n’était pas souhaitée par tout le monde. Pour beaucoup, à l’époque, la Serbie ne constituait pas un enjeu suffisant. Et aujourd’hui encore, on peut lire sous la plume de certains historiens – qui oublient que la guerre devait durer encore trois années de plus – que ce sauvetage n’a pas été très utile à la victoire finale car au cours des deux années qui suivirent, l’armée serbe ne se distingua pas particulièrement.
Pourtant, dès septembre 1916, après avoir contenu une offensive germano-bulgare lancée de toutes parts contre la tête de pont alliée, le général Sarrail attaquera sur ordre du général Joffre. Pendant que les Anglais et les Italiens feront diversion en Macédoine orientale, face à la Bulgarie, les troupes de Macédoine occidentale s’engageront en direction du nord et les Serbes perceront dans la zone montagneuse qui borde à l’ouest le bac d’Ostrovo ; les Français exploiteront avec eux le succès. Ils entreront dans Monastir, à l’extrême sud de la Serbie, le 17 novembre. Malheureusement, le manque de moyens et les intempéries empêcheront de poursuivre plus loin l’avantage. Le front se figera pour plusieurs mois sur la ligne qui viendra d’être atteinte.
Mais ce sera surtout en 1917 que les soldats serbes se distingueront. Après l’entrée en guerre de la Grèce aux côtés de l’Entente, l’Armée d’Orient sera composée de 650.000 hommes dont 210.000 français, 157.000 Grecs, 138.000 Anglais, 120.000 Serbes et 44.000 Italiens. Le commandement sera alors assuré par le général Guillaumat, successeur du général Sarrail puis, à partir de juin 1918, par le général Franchet d’Esperey. [Image]. Après des retards dus aux réticences britanniques, une offensive sera enfin décidée pour le début du mois de septembre 1918. Elle se révélera décisive. Le 15 septembre, à l’aube, les Français et les Serbes attaqueront dans la zone montagneuse du sud de la Macédoine serbe. En une journée le front sera percé. Les Bulgares et les Allemands reflueront vers le nord-est. La cavalerie française exploitera au plus loin et atteindra Uskub (Skoplje) le 29 septembre tandis que les Serbes entreront dans Veles. Le même jour, la Bulgarie sollicitera l’armistice qui sera aussitôt signé. L’Armée bulgare cessant le combat, les troupes allemandes seront obligées de faire retraite, abandonnant tout le territoire serbe. Le général Franchet-d’Esperey, sans perdre un instant, développera son offensive vers le nord, en direction de Belgrade, où les Français et les Serbes entreront le 1er novembre, ainsi que vers le nord-est en direction de la Roumanie, vers l’est en direction de Constantinople. La Turquie capitulera à son tour le 30 octobre. Trois jours plus tard, l’Autriche signera l’armistice. Les troupes alliées franchiront alors le Danube, entreront en Hongrie et progresseront en direction de l’Allemagne. Celle-ci, désormais seule à résister encore, en proie aux plus graves difficultés sur le front français, acceptera à son tour l’armistice le 11 novembre.
Le sauvetage de l’Armée serbe a donc eu une influence sinon décisive du moins très importante sur l’issue définitive du conflit, mais au moment où il s’est déroulé, personne ne pouvait s’en douter, ou ne voulait y croire. (Marine française. À suivre, demain jeudi) ■
* Articles précédents …
■ Marine française : Amiral Pierre-Alexis Ronarc’h [1] [2] [3]
■ Marine française : Amiral Marie Jean Lucien Lacaze (1860 – 1955) [1] [2]
■ Marine française : En 1915, les canonnières fluviales aux Faux de Verzy
■ Marine française. En mer de Chine : à l’école de l’Amiral Courbet [1] [2] [3] [4] [5]
■ Marine française. En baie d’Along : En mission à « Ouai Chao »
■ Marine française. Le Sauvetage de l’armée serbe [1] [2] [3]