Par Michel Michel
On me demande si je suis « traditionaliste ».
Je ne sais plus où Maurras regrettait qu’il soit nécessaire d’avoir à être « nationaliste ». Il y voyait une nécessité due à la situation devenue fragile du bien commun national et particulièrement à la disparition de son fédérateur historique, l’Etat capétien.
De même on peut regretter le « isme » qu’il faut rajouter à Tradition. Il y a dans toute mise en forme théorique quelque chose de systématique qui risque de vous transformer en doctrinaire ou si vous préférez en « schtroumpf à lunettes ».
La Tradition devrait être reçue, vécue et transmise plutôt que d’être l’objet d’une doctrine, et pire, une doctrine polémique, conçue pour batailler contre d’autres idées… De la théorie à l’idéologie, il n’y a qu’un pas. Et c’est une tendance moderne très généralisée que de disserter sur la Grâce et sur les sacrements en se dispensant de toute pratique religieuse régulière…
La Tradition peut donc — au même titre que tout autre corps d’idées — devenir support des passions les plus vulgaires : envie de briller, goût pour les querelles idéologiques ou protection névrotique (ce dernier travers est le risque des doctrines bien cohérentes, thomisme, marxisme voire maurrassisme ou guénonisme).
Malgré tous ces travers, je crois nécessaire et juste de mettre en théorie la pratique de la Tradition lorsque celle-ci est attaquée par les idéologies anti-traditionnelles.
En ce sens, il est vrai que la mise en forme des idées traditionnelles et probablement la généralisation du mot de Tradition lui-même sont largement dues aux assauts progressistes et surtout modernistes qui ont accompagné et suivi le concile Vatican II. Toute l’histoire de l’Eglise montre que la définition de chaque dogme est une réaction à la mise en question de l’orthodoxie par quelque déviation hérétique. Plus largement la sociologie de la connaissance montre que dans tous les domaines, la progression de la réflexion théorique peut être assimilée à une tentative pour faire face à une situation de crise.
J’accepte donc d’être qualifié de « traditionaliste », même si le terme est discutable et même si je connais bien tous les petits côtés et les limites de certains « traditionalistes ».
Mais je trouve bien vaine la coquetterie, fort répandue également, qui consiste à vouloir se reconstituer une sorte de virginité théorique pour se faire bien voir de tous, en ferraillant sur des points de détails contre ceux qui, pour l’essentiel, sont des alliés. Ce n’est pas en hurlant avec les loups qu’on échappe au processus de « diabolisation » d’un courant de pensée ; c’est en changeant les rapports des forces qui s’exercent sur l’opinion publique. Bref, quels que soient les défauts de ses alliés, il vaut mieux concentrer ses attaques sur ses adversaires. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas en milieu traditionaliste où l’on préfère souvent dénoncer la position voisine (qui est quelquefois concurrente) que la position adverse.
J’accepte même le qualificatif « infâmant » de réactionnaire, ne serait-ce que pour désamorcer la rhétorique du soupçon (quand on ne peut répondre aux arguments on disqualifie son interlocuteur en le soupçonnant d’être « dans le camp du mal »). Après tout dans leur guerre contre les Espagnols, les Hollandais relevaient-ils le défi en se nommant « les gueux ».
En revanche je refuse le qualificatif de « conservateur ». Je sais que certains camarades ou « alliés » veulent relancer ce concept sur le modèle anglo-saxon, qui ne dévaloriserait pas trop leurs convictions auprès des médias dominants. Mais si le réactionnaire réagit face aux pratiques subversives, si le traditionaliste les critique au nom des Principes originels, le « conservateur » va critiquer la subversion d’aujourd’hui au nom de la subversion d’hier. C’est ce qui provoque « l’effet cliquetis » du prétendu Progrès. C’est ainsi que l’on combat le Pacs puis qu’on le défend contre le mariage des invertis. Ou que l’on est réticent face à la PMA, pour quelques années après s’y appuyer contre la GPA. ■