PAR PIERRE BUILLY.
La Marseillaise de Jean Renoir (1938).
Les retournements de l’Histoire.
On m’avait toujours présenté ce film comme un pur ouvrage de propagande, et il est de fait que Jean Renoir, alors très proche du Parti Communiste français, l’a réalisé à la suite d’une souscription publique de la C.G.T., et dans une optique idéologique similaire à celle de La vie est à nous, qui est, en matière de travail de propagande, une manière de chef-d’œuvre, similaire à ce qui se faisait en Union soviétique ou en Allemagne nazie.
Seulement, précisément, l’histoire même du P.C.F. n’a d’homogène que la soumission absolue aux directives du Komintern – l’Internationale communiste – et après la politique de »classe contre classe », d’un sectarisme absolu (puisqu’elle exclut toute alliance avec quiconque et assimile les socialistes de la S.F.I.O. aux partis »bourgeois ») est venu le temps de »la main tendue », après les événements de 1933/34, qui a abouti à la politique de soutien sans participation au Gouvernement de Front Populaire.
Fini donc le temps où le drapeau tricolore était conchié, et où les soldats étaient invités à mettre la crosse en l’air. Les nuages sombres qui pèsent sur l’Europe, et la crainte de Staline de se retrouver seul devant l’Ogre de Berlin ont conduit à un renversement à 180° de la politique menée (il y aura un nouveau renversement, de même amplitude, et dans l’autre sens, au moment de la signature du Pacte germano-soviétique) et à une glorification de la Nation en armes, tout entière dressée.
C’est donc là qu’il est amusant de saisir cette Marseillaise, plaisant panorama tourné avec de gros moyens, où Renoir fait valoir son sens inné du spectacle cinématographique, mais n’emporte tout de même pas complétement l’adhésion, parce que, finalement, il est sympathisant politique par effet de mode ou de provocation, et que sa pensée profonde est dans le »Tout le monde a ses raisons » de La règle du jeu.
Mais si nous revenons à La Marseillaise, on s’amuse de voir grandir une sorte d‘unanimisme national, où chacun, quelle que soit sa position sociale, a sa place : nous sommes loin de la lutte des classes, car le bourgeois, le prêtre, et même l’aristocrate patriote (remarquable Aimé Clariond) peuvent lutter ensemble pour la défense de la commune Patrie.
Cela donne un film intéressant, dont le but n’est pas de dresser une chronologie historique de la Révolution française, mais bien plutôt d’en restituer l’évolution des mentalités, à travers, notamment, l’histoire d’un groupe de Marseillais jovials et sympathiques qui se trouvent, se groupent, adoptent le »Chant de guerre de l’Armée du Rhin » comme chanson de marche, le portent à Paris et iront glorieusement se battre à Valmy.
L’évolution des mentalités, c’est ce qui permet de comprendre combien, en 1790, le sentiment du peuple est encore presque entièrement royaliste, l’animosité se dirigeant vers les aristocrates et le haut clergé, le Roi paraissant avoir été coupé du peuple par une sorte de conspiration : c’est tout à fait conforme, cela, à la tradition historique française, le Roi s’étant toujours appuyé sur le peuple pour lutter contre les féodalités.
Mais, avec les mois qui passent, les choses changent et la haine monte : de plus en plus des voix s’élèvent, plus radicales et haineuses (le discours, à Marseille, d’une poissonnière contre le Roi) et là où on pensait Louis XVI trahi par son entourage, on en vient à considérer que la République doit remplacer la Monarchie.
En s’arrêtant avant Valmy (20 septembre 1792), le film fait, si je puis dire, »l’économie » d’aborder la Terreur, même si le massacre des Suisses aux Tuileries (10 août 1792) constitue un fort moment d’émotion.
Mais c’est surtout dans l’optique de conciliation nationale que filme Renoir, qui n’oublie même pas de montrer les émigrés de Coblence non pas caricaturalement, comme des momies attachées à leurs privilèges, mais plutôt comme de pauvres êtres dépassés par le cours de l’Histoire, inconsolables d’avoir été obligés de quitter France-la-Douce.
Il y a de la grandeur, une grandeur épique dans un film qui, s’il n’est pas parmi les meilleurs de son auteur, est intelligent et grave. On s’émerveille, quatre-vingts ans après son tournage, d’en admirer la richesse, en déplorant toutefois, l’abîme d’inculture creusé depuis 1937 : car, sans une certaine connaissance et de la Révolution française et de la période du tournage, on en perdrait bien des subtilités… ■
DVD autour de 14 €
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Renoir est imperméable à toute idéologie réductrice, la nôtre. Il a trop d’empathie et de générosité pour ses personnages, « la grande illusion » l’est génialement. Ici son film le montre le Roi sympathique, la Reine caricaturée, hélas ( mais ses pires ennemis venaient de la cour au départ) , le handicap était trop lourd, Certes les Marseillais sont trop sympathiques alors que dans la réalité!!!, mais pouvait-il éviter la légende dorée cgt qui finançait? Un e scène époustouflante d’un portait d’un émigré à Coblenz, où le génie de Renoir peut enfin s’affirmer, qui donne son vrai sens au film, cet émigré non seulement n’est pas caricaturée mais c’est une ode à l’amour de la « douce France ». la véritable ode de ce film, mais il faut décoder le Film de commande, « la Marseillaise » qui casse les codes malgré quelques faiblesses. Peut-il être compris aujourd’hui? Peut-être.