PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro d’aujourd’hui. Nous la publions aussitôt. Elle est intégralement intéressante. L’analyse y est classique si l’on se réfère à la pensée habituelle de Mathieu Bock-Côté. Nous en retiendrons cette question qu’il pose opportunément : « Quelle place la modernité est-elle prête à réserver aux antimodernes ? » Il ne s’agit pas là du « réactionnaire goitreux, vaincu mille fois, ruminant ses défaites: dans son bocal, (qu’on) regarde comme une antiquité vivante, qui ne menace personne. » Le courant antimoderne est au contraire une réalité puissante de la vie intellectuelle française et européenne des deux derniers siècles. On ne finirait pas de faire l’inventaire des très grands noms, des très grands esprits qui le constituent. Hier et aujourd’hui. Leurs noms sont connus. Nous ne les citerons pas. Quelle place la modernité est-elle prête à leur réserver ? Aucune. Et elle se prépare à en déboulonner les statues, jusqu’aux plus intouchables jusqu’ici. Comment le peuple français y réagira-t-il lorsque les plus extrêmes expulsions seront entreprises ? C’est une question des plus cruciales si nous prétendons encore à un avenir qui soit nôtre.
Dans la guerre de la mémoire, Le Puy du Fou lance une contre-offensive.
Samedi dernier, le 15 août, le Puy du Fou, le renommé parc à thème historique de Philippe de Villiers, a obtenu une dérogation préfectorale dans le cadre de la représentation de La Cinéscénie, son spectacle à grand déploiement qui récapitule l’histoire de France.
Cette décision a suscité la controverse: pourquoi disposait-il de ce privilège ? L’indignation se voulait sanitaire. Mais on devinait aisément que, pour plusieurs, cette indignation en cachait une autre. Car depuis le début de la pandémie, les exigences liées à la sécurité sanitaire sont à géométrie variable. Il suffit de se rappeler des manifestations «antiracistes» du mois de juin pour s’en convaincre. Elles furent tolérées et même encouragées au nom de l’« émotion légitime et planétaire » par Christophe Castaner. Apparemment, il faut brandir l’étendard idéologique autorisé pour se rassembler en temps pandémoniques.
Et c’est parce qu’il ne se range pas sous la bannière du progressisme officiel que le Puy du Fou est la cible récurrente de la gauche idéologique qui, régulièrement, cherche à le déconsidérer et même à le présenter comme une entreprise inquiétante, peut-être même malfaisante. Encore en juin, sur le site de France Culture, on dénonçait dans une novlangue parfaitement maîtrisée « une instrumentalisation fantaisiste et mensongère de l’histoire au service d’un projet réactionnaire ». Cette polémique menée à même le service public suffit à rappeler à quel point l’entreprise de Philippe de Villiers heurte intimement le progressisme dans sa prétention à exercer un monopole narratif sur le récit historique légitime.
Le Puy du Fou est un parc en dissidence à ciel ouvert, indissociable d’une mémoire longtemps enfouie mais aujourd’hui réactivée. Ce qu’on lui reproche, c’est de rendre vivante et charnelle une histoire de France qui n’est pas enfermée dans la téléologie révolutionnaire. Elle est abordée à partir de l’expérience vendéenne, qui représente, on l’oublie souvent, le dévoilement premier d’une tentation funeste qui anime la modernité, la poussant à éradiquer les catégories sociales qui ne se laissent pas reprogrammer dans ses catégories « émancipatrices ». Les Vendéens étaient jugés bons pour les poubelles de l’histoire, à la manière de populations retardataires, incapables de se délivrer de leurs préjugés, et indésireuses de le faire. Il n’est pas interdit de croire que les sociétés occidentales souhaitent réserver symboliquement le même sort à leurs peuples qui tardent à se convertir à la mondialisation multiculturelle, même si elles misent désormais sur la rééducation idéologique pour parvenir à leurs fins.
Mais le Puy du Fou va au-delà du seul épisode vendéen et aborde l’histoire de France à la manière d’une grande fresque héroïque, où on croit aux grands hommes et aux miracles, non pas comme un enfant crédule, mais à la manière d’un homme convaincu de l’existence de forces invisibles dans l’histoire qui pèsent sur le destin des peuples. L’histoire n’est pas un processus impersonnel, mais le grand théâtre des passions humaines. Qui sait s’y plonger y trouve des ressources existentielles pour affronter les épreuves collectives les plus tragiques. La raison technocratique toujours échoue quand les circonstances redeviennent immaîtrisables, quand s’impose l’heure des grandes décisions, que l’on prend après avoir prié et médité sur le parcours de ses ancêtres.
Quelle place la modernité est-elle prête à réserver aux antimodernes ? Peut-elle simplement accepter qu’on ne se définisse pas intégralement dans ses catégories ? Dans son logiciel, le monde se départage entre les avant-gardes et les arriérés – entre les deux, on trouve de bons gestionnaires prêts à se plier à l’esprit de l’époque, à collaborer avec lui. Comme dissident, elle tolère le réactionnaire goitreux, vaincu mille fois, ruminant ses défaites: dans son bocal, on le regarde comme une antiquité vivante, qui ne menace personne. Mais le Vendéen flamboyant dans son bocage ne joue pas ce mauvais rôle et a voulu remettre au cœur de la France actuelle la France éternelle. Il entend plutôt faire revivre une certaine idée de la France, sous le signe de la continuité historique et de la patrie charnelle. Dans la guerre de la mémoire, il lance une contre-offensive.
Et comme on le sait, le Puy du Fou est plébiscité. La France populaire et la France à particule s’y croisent et se découvrent un même destin. Évidemment, elles y vont en masse pour s’amuser, pour s’émerveiller. On y verra simplement la preuve que le commun des mortels peut souhaiter autre chose que les crétineries habituelles de l’industrie culturelle américaine, pour peu qu’on lui en donne l’occasion. Le peuple français s’y retrouve sous le signe d’un divertissement enchanté, poétique, qui secrètement, revivifie l’esprit public. C’est probablement ce qu’on ne pardonne pas à Philippe de Villiers. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Vive Le Puy du Fou , vive la vraie histoire de France . Merci de nous la reenseigner .,merci . Marie – Louise Dujol