Nous vous proposons ici et les jours suivants la lecture intégrale de l’ouvrage publié sous ce titre par Henri Massis et Robert Brasillach, chez Plon, en 1936, après que le siège de l’Alcazar se soit achevé par l’héroïque victoire des troupes du général Franco. À l’heure où la République française est devenue coutumière d’hommages assez dérisoires rendus à presque n’importe qui, le récit de la résistance victorieuse des Cadets de l’Alcazar nous rendra l’exemple du pur et véritable héroïsme. C’est presque un reportage. Il émeut souvent, il peut aussi rendre confiance.
Qu’est-ce donc que cet Alcazar où des rois Wisigoths à Charles-Quint, des Califes à Isabelle la Catholique, d’Alphonse VI à Philippe II, du Cid, qui fut son premier gouverneur, aux Cadets qui l’ont rendu plus illustre encore, toute l’histoire et toute la grandeur de l’Espagne viennent s’inscrire successivement ?
Aucun de ceux qui out visité l’ « exaltante Tolède » n’a oublié ce vaste édifice qui la domine de ses longs murs, flanqué de quatre énormes tors. Massif, sans grâce, l’Alcazar achève pourtant de façon merveilleuse la figure de la ville sacerdotale, telle qu’au soleil couchant on la découvre, dans une lumière rouge et, ocrée, quand on arrive par le pont d’Alcantara.
Cernée par la boucle profonde du Tage, Tolède amoncelle « ses ruines romaines, ses basiliques wisigothes, ses mosquées arabes, ses synagogues désaffectées, ses églises et ses palais », en une ascension disparate. Sous la lumière la plus dure et la plus fauve qui soit au monde, ses maisons aux portes écussonnées, bardées de fer, semblent ne vivre que refermées sur elles-mêmes, pour la fraîcheur secrète de leurs jardins intérieurs et de leurs patios. Et c’est autour de l’Alcazar, non loin de cette cathédrale démesurée aux immenses déambulatoires faits pour une foule qui parle, se promène, joue de l’éventail et cause familièrement avec la Vierge et les saints tout autant qu’elle les prie, c’est au pied de l’Alcazar que vient battre et se concentre la vie de la vieille cité castillane.
Au-delà, près de ses palais et de ses églises les plus fameuses, vers la Porte du Soleil ou vers Saint-Jean-les-Rois, ce ne sont que places désertes, sous un ciel de feu, remparts abandonnés, murailles nues où l’on s’attend toujours à voir surgir le toit de paille entrecroisée de quelque souk marocain. Mais le centre même de la ville est là, entre la masse carrée de la citadelle et les tours de la cathédrale, non loin des éventaires où des artisans silencieux cisèlent l’acier et le vermeil, non loin des couvents, des ,églises et de la plus connue d’entre elles, ce Santo-Tomé sans grâce qui, sous un voile fané, abrite l’Enterrement du comte d’ Orgaz, la toile la plus célèbre du Greco.
D’un côté, l’Alcazar domine le Tage aux flots rapides et l’amas de maisons basses qui s’étagent sur ses degrés rocheux ; de l’autre (et l’on y accède par une pente raide) il surplombe la célèbre place de Zocodover, aux cent balcons, jaune et verte, toute bruissante de vie allègre, avec ses cafés, ses hôtels, son odeur d’huile et vers laquelle toutes les rues de Tolède mènent les pas du voyageur.
En quittant Zocodover, on franchit l’Arco de la Sangre, cette ravissante porte mauresque à l’arc outrepassé, toute proche de la Posada où vécut Cervantès. Et, devant l’hôpital de la Santa-Cruz, par la rampe escarpée aux marches informes, on aborde la masse rectangulaire de l’Alcazar, juchée au-dessus du quartier réservé, face à la plaine de Castille, dévorée de poussière.
De là-haut, toute une partie de Tolède se déploie et se livre au regard jusqu’aux collines de pierre sèche, où les bourgeois et les nobles ont leurs maisons de campagne, leurs cigarrals, c’est-à-dire leurs cigalières.
Gardée par d’anciens châteaux forts, la vallée du Tage s’étire en gorges profondes, et la « haute ville des vainqueurs », sur l’éperon qu’encercle le fleuve vert, se dresse comme l’achèvement et la parfaite image de cette terre de fierté et de feu.
C’est là, c’est dans cet Alcazar qui fut jadis palais royal, avant que la cour ne se transportât à Valladolid, puis à Madrid, que des générations de jeunes officiers espagnols ont été formées depuis un demi-siècle.
Tout y ramène l’esprit au point d’honneur et aux grandes vénérations de l’histoire, et tout. y porte la marque de la flamme et du fer. Pillé repillé, brûlé par les Portugais en 1710, par les Français, un siècle plus tard, ruiné par un dernier incendie en 1887 et toujours rebâti, rien n’a pu venir à bout de ses murs engagés dans le granit du roc où il s’érige. Sous l’entassement des siècles qui l’ont meurtri, l’Alcazar demeure au-dessus de Tolède comme le témoin de ses tumultes.
Quand on franchit son portail monumental et qu’on pénètre à l’intérieur de sa cour d’honneur, où se tient toujours la statue de Charles Quint sculpté nu sous une armure, on comprend que tout prédestinât l’Alcazar à devenir le Saint-Cyr espagnol. Sur les murs de ce cloître militaire, qu’entoure une charmante colonnade, ce ne sont qu’écussons, fières devises, et toutes les pierres se rehaussent d’ornements, tels que coqs, léopards, lions ou aigles, si révélateurs d’une certaine conception de la vie, qu’exprime peut-être mieux, encore, ce ciboire, surmonté d’un casque à crinière, où toute la religion de l’Espagne se résume. Aux murs des salles d’honneur, des plaques de marbre portent les noms des morts pour l’Espagne : mort au Maroc, mort en avion, mort dans les dernières guerres. Et les Cadets ont tous un père, un frère aîné, un parent, parmi ces ombres.
Sans doute craignait-on qu’un tel idéal n’inspirât trop exclusivement le corps des officiers espagnols ; car après avoir été une École militaire générale, où les élèves-officiers de toutes-armes recevaient une formation commune, l’Alcazar n’était plus, depuis la République, qu’une École d’application des Cadets de l’Infanterie, de la Cavalerie et de l’Intendance : ils y passaient deux ans.
Les entraves apportées à la carrière militaire avaient, au reste, découragé les vocations, et l’École des Cadets, qui comptait un millier d’élèves en 1918, ne comprenait plus, cette année, que cent-cinquante fantassins, soixante cavaliers, et une quarantaine d’élèves-intendants, tous jeunes-gens de dix-huit à vingt ans. Appartenant à diverses, classes de la société, encore que quelques-uns portassent de grands noms d’Espagne, tous les Cadets, selon la coutume, avaient droit au titre de chevaliers. Le destin allait bientôt permettre à une poignée d’entre eux de conférer à ce mot de Cadets une plus immortelle noblesse.
LES PREMIERS JOURS.
Dès la fin de juillet, les assiégés de l’Alcazar pressentaient que le siège serait plus long qu’ils ne l’avaient cru tout d’abord.
L’armée du Sud qui devait les délivrer, en marchant sur Madrid (dont Séville avait déjà annoncé la chute), cette armée n’était toujours pas en vue de Tolède. L’offensive par surprise avait donc échoué. Les insurgés n’avançaient plus, et, des deux côtés, les partis vraisemblablement s’organisaient pour la lutte à outrance. C’était une véritable guerre qui commençait et qui risquait de s’étendre à l’Europe tout entière. Dans ce grand drame, où s’affrontaient les deux Espagnes, qu’était Tolède… ? Rien qu’un point, un point sans importance stratégique, et l’Alcazar un îlot perdu loin des fronts de bataille.
Aussi le général Riquelme, commandant des forces gouvernementales, avait-il estimé, dès l’abord, que l’Alcazar ne tarderait pas à se rendre, sans qu’il fallût, pour l’y contraindre, endommager l’un des monuments les plus fameux de l’Espagne ; et nous avons vu quelles étaient les armes dont il préférait se servir.
Mais après le coup de téléphone du cinquième jour, après l’abominable stratagème odieusement conçu pour lui faire trahir son devoir, le colonel Moscardo a rapidement organisé la défense de la citadelle, avec l’aide de ses Cadets. Ces quelques jeunes hommes vont faire ainsi leur apprentissage de chef ; car c’est à eux, malgré leur âge, qu’incombera l’organisation méthodique du siège.
Tout de suite, ils se sont partagé les charges et ont constitué plusieurs compagnies : la compagnie des Zigzags qui se réserve les coups de mains les plus durs ; la compagnie du Simplon, qui creusera des sapes, pour faire sauter les mines installées par les Rouges ; la compagnie de la Mort qui tentera les sorties les plus folles : ne risquera-t-elle pas le pire, certain jour, pour avoir des cigarettes et du tabac, dont la privation était ce qui causait le plus d’impatience ?
Au début, les défenseurs de l’Alcazar n’occupaient pas seulement la célèbre forteresse, mais tous les bâtiments qui l’environnent. C’est ainsi qu’ils s’étaient rendus maîtres du Gouvernement militaire – vaste bâtisse de granit, à l’épreuve des bombes – qui avoisine l’hôpital de la Santa-Cruz, au pied de l’Alcazar. Sur l’esplanade de l’Est, ils tenaient également le vieux couvent désaffecté des Capucins, qui communique avec la citadelle par un passage souterrain, appelé le Passage courbe. Et pendant tout le temps où ils n’ont pas été trop harcelés par. les Rouges, les Cadets ont pu réussir à approvisionner l’Alcazar en vue d’un long siège. ■ (À suivre, demain mercredi).
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© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
La guerre civile en Espagne est sans doute un épisode de l’histoire européenne sur lequel le plus grand nombre de mensonges ont été répandus. Le livre de Pio Moa, paru récemment en édition française sous le titre Les Mythes de la guerre d’Espagne, bouscule les clichés répandus par la propagande communiste depuis plus de 80 ans par des historiens d’un sectarisme éhonté comme Paul Preston. De même qu’il a fallu attendre la chute de l’URSS pour que soit révélée la vérité sur les massacres de Katyn, Pio Moa, issu de la gauche radicale, nous apprend pourquoi la Guerre devenait inévitable en 1936.