Nous vous proposons ici et les jours suivants la lecture intégrale de l’ouvrage publié sous ce titre par Henri Massis et Robert Brasillach, chez Plon, en 1936, après que le siège de l’Alcazar se soit achevé par l’héroïque victoire des troupes du général Franco. À l’heure où la République française est devenue coutumière d’hommages assez dérisoires rendus à presque n’importe qui, le récit de la résistance victorieuse des Cadets de l’Alcazar nous rendra l’exemple du pur et véritable héroïsme. C’est presque un reportage. Il émeut souvent, il peut aussi rendre confiance.
Le jour où ils s’y enfermèrent, il y avait dans les écuries de l’École deux cent cinquante mules et seize chevaux, dont un pur-sang de course qu’on soignera jusqu’au bout.
Par ailleurs, en se retirant de la ville, les hommes avaient fait main basse sur une certaine quantité de vivres. Mais assurer la nourriture quotidienne de deux mille personnes n’est pas chose facile et tout de suite on craignit la disette. Fort opportunément, l’on se souvient que certain magasin dont les greniers devaient être remplis de blé, se trouvait à proximité de l’enceinte. A travers la large brèche qu’un des premiers bombardements avait ouverte dans la toiture de ce dépôt, une soixantaine d’hommes, appartenant à la compagnie de la Mort, se glissèrent, durant plusieurs nuits ; et à l’aide d’échelles et de 989-cordes, en équilibre sur des ruines branlantes, ils parvinrent à ramener jusqu’à la citadelle plusieurs centaines de sacs de blé, qui pesaient entre cinquante et cent kilos. Ainsi la viande de cheval et le pain furent-ils, pendant soixante-dix jours, la base de l’alimentation.
Pour le boire, on était sans inquiétude. Les assiégés avaient à leur discrétion d’immenses réserves d’eau : deux algibes de trois cent mille litres, d’anciennes citernes qu’on avait dû récemment remplir, et qui étaient suffisamment à l’abri dans les souterrains de l’Alcazar pour ne craindre aucun bombardement. Au besoin, l’on aurait pu utiliser certains puits qui communiquaient avec le Tage.
Aussi les premières journées passées dans l’Alcazar n’ont-elles pas été matériellement trop pénibles. Le plus dur, c’était l’absence de nouvelles. Au-delà de Tolède, au nord comme au sud, la guerre fait rage, et les assiégés, isolés du reste du monde, n’en savent rien.
Dès le 6 août, le général Franco petit acheminer par le détroit de Gibraltar les troupes de la Légion étrangère et les regulares marocains. L’Europe s’émeut, la contrebande des armes s’organise, Berlin réclame impérieusement des réparations pour l’assassinat de quatre Allemands à Barcelone, la France proclame sa neutralité absolue.
Pendant ce temps, l’armée du Sud, renforcée par les troupes du. Maroc, se remet en marche vers Madrid, afin de prendre la capitale par l’ouest, et s’arrête d’abord devant la place forte de Badajoz, un gouvernement militaire, une Junte, s’est formée à Burgos, qui est devenue la capitale de l’Espagne nationaliste [Photo]. Saint-Sébastien est attaqué, la Catalogne tombe aux mains des communistes et des anarchistes ; Majorque, bombardée par les gouvernementaux, résiste victorieusement. Des généraux rebelles, sont fusillés à Barcelone. Une atroce guerre de représailles s’engage, tandis que l’Europe fiévreuse est prête à s’entre-déchirer.
Mais, le 14 août au soir, les insurgés parviennent à réunir l’armée du Nord et l’armée du Sud : Franco et Mola [Photo] ont fait leur jonction à Badajoz. Et c’est le 14 août ‘que, dans les deux camps, l’Alcazar de Tolède commence à prendre valeur de symbole.
LE SIÈGE.
Dès le 29 juillet, Madrid avait annoncé la reddition de l’Alcazar. Un communiqué apprenait à l’Europe que les factieux, réfugiés dans les souterrains, avaient cessé le combat : « ils se sont rendus, disait-il sur une dernière sommation des ‘forces gouvernementales qui les ont menacés d’un nouvel assaut. Les officiers et les gardes civils sont alors sortis désarmés de la forteresse, par groupes de cinq. Le calme le plus complet règne dans Tolède. »
La réalité était bien différente, et le gouvernement de Madrid n’avait pas tardé, à s’en apercevoir. Devant la résistance acharnée des défenseurs de l’Alcazar, il n’y avait plus d’illusions à se faire : on ne les réduirait que par la force. Toutes les troupes disponibles furent aussitôt employées. Des munitions, des avions et des tanks furent mis à la disposition de don José Vega, nommé gouverneur civil de la province, et du maire, Guillermo Penezagua, tous les deux restés fidèles au Frente popular. Un comité de guerre avait été- formé, sous la présidence du, commandant Barcelo : il siégeait en permanence à l’hôtel des Postes.
Un bombardement méthodique avait commencé. La place Zocodover, le seul endroit par où l’on pût atteindre PAlcazar, avait été pratiquement détruite, depuis les premiers jours d’août. Dérisoire et charmant, au milieu de tous ces décombres, l’Arc de la Sangre se dressait seul, dans le-vide, à l’entrée des ruines qui furent la Posada de Cervantès.
A la faveur de ces bombardements, des « sorties » étaient tentées dans les ruelles avoisinant l’Alcazar. Une dizaine de soldats, que conduisait le caporal Felix de Anco Morales, profitèrent même de l’une de ces expéditions pour s’enfuir de la forteresse. C’est eux qui donnèrent les premières nouvelles des assiégés, et les bruits les plus pessimistes commencèrent tout de suite à se répandre.
L’un de ces déserteurs avait mission d’accompagner les touristes qui venaient de Madrid, le dimanche, dans l’espoir d’assister à la, chute de l’Alcazar. Il les conduisait de l’autre côté du Tage, au Castello San Servando, d’où l’on aperçoit la capitale tolédane, telle que l’a peinte le Greco, étagée sur son âpre colline, tendant vers le ciel ses couvents, ses églises. Et là, sous les feuillages, au bruit de la canonnade mais à l’abri des obus, il leur faisait, en homme échappé d’un enfer, les plus horrifiques récits sur la vie qu’on menait dans la citadelle. « Il n’y a pas de jour, disait-il, où l’on ne fusille les mécontents, et les souterrains sont remplis. de cadavres. La garnison, qui a vainement supplié les officiers de se rendre, a tenté de ‘se mutiner, mais la répression a été immédiate et impitoyable. »
A en croire les évadés, les assiégés voulaient faire leur soumission, et c’était par criminel orgueil que les officiers les retenaient sous la terreur. Mais comment dix-neuf cents personnes n’arrivaient-elles pas à imposer leur volonté à une vingtaine d’officiers et de Cadets ?
La vérité, c’est que ces furieuses attaques dirigées depuis le début d’août contre l’Alcazar, fortifient chaque. jour davantage leur résistance. Car, chaque jour, les tanks amenés par la Calle del Comercio, écrasent les dernières pierres de ce qui fut les grands hôtels, les riches bijouteries de Tolède, et, fonçant lentement à travers la place Zocodover, tentent de monter la rampe inaccessible. Chaque jour, les avions lâchent leurs bombes sur la forteresse ; chaque jour, les canons de 155, en batterie sur les hauteurs des Cigarrales et sur les sommets de la ville, prennent pour cible les quatre tours de l’Alcazar. Et, chaque jour, don José Vega téléphone au colonel Moscardo pour lui poser la même question :
— Voulez-vous vous rendre ?
Et lorsque celui-ci, une fois encore, a répondu non, le bombardement recommence.
Quand il cesse, un milicien, – doué d’une. voix formidable, s’approche des remparts, d’où il lance les menaces rituelles : nous violerons vos femmes, nous vous crèverons les yeux, nous vous écorcherons tout vifs. Nous sommes forts, reprend le vociférateur, vous êtes épuisés, malades, affamés. Vous serez vaincus et pas un de vous ne sortira vivant.
Que peuvent les insolentes clameurs de ces furieux contre ce qui unit les défenseurs de l’Alcazar dans un même principe d’espoir, d’ardeur et de détachement ?
Mais, après ces attaques, l’existence des assiégés a été réglée. de façon sévère. Il a fallu faire évacuer la maison du Gouvernement militaire et tout le quartier situé hors de l’enceinte, à, l’exception des Capuchinos. A l’intérieur même de l’Alcazar, des précautions se sont imposées ; et l’on a dû d’abord, pourvoir à la sécurité des femmes et des enfants. Aussi le colonel Moscardo et les Cadets ont-ils fait transporter tous les services dans les galeries souterraines. ■ (À suivre, demain jeudi).
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