Par Rémi Hugues.
Ce dossier consiste en une suite de 7 parties – dont celle-ci est la dernière – publiées les jours précédents. Elles seront ultérieurement réunies en un document unique dont la consultation demeurera toujours possible.
En dépit de la rupture instituée par la modernisation des sociétés et des États, il subsiste dʼaprès Maurras cette permanence : « Si la nation est composée de familles, on se rend compte quʼune famille ou des familles la dirigent. »[1]
Il remarque en outre quʼ « un certain nombre de familles nobles et bourgeoises tranchent sur les autres en y perpétuant avec leur patrimoine, outre un sens national affiné, un vif esprit du service public, des habitudes de clientèle et de commandement local ou régional.
Où lʼindividu vivant de la politique était un intrus souvent dangereux, la famille qui fait de la politique sait ce quʼelle fait et par sa durée même témoigne quʼelle donne autant quʼelle reçoit. Elle ne dissimule pas sa fonction, elle la publie. Elle ne dit pas au peuple quʼil règne, ni gouverne, mais elle reconnaît quʼelle lʼadministre, le gouverne et ainsi le sert.
Caractérisées par lʼéducation reçue et transmise, par la tradition prolongée, par le rang moral maintenu, ces familles portent la charge, elles remplissent les devoirs, elles accèdent au pouvoir partiel ou total selon les pays. Ces éléments dʼaristocratie tendent-ils à la monarchie ? On le dit.
On se trompe. Cʼest tout le contraire. Si lʼon trouvait en France une forte charpente de ces familles stables, les chances seraient moins pour le gouvernement dʼun seul que pour la République aristocratique.
Mais on trouve autre chose en France : dans le nombre important mais très limité des familles seigneuriales ou capables de seigneurie, on trouve une race qui depuis mille ans les domine, les discipline, les conduit, les réduit au bien du pays.
Drumont lʼappelait la famille-chef. La situation de la famille-chef étant en rapport étroit avec les convenances de lʼintérêt national, le Droit national tend à prier cette famille dʼassurer la direction-en-chef du service public et à lui déférer ce commandement unique dont lʼesprit public accuse un besoin si aigu ! »[2]
En atteste, concernant la fonction déterminante de la famille dans lʼhistoire, outre les grands hommes ainsi que les masses, le rôle décisif joué par la dynastie des Capets-Bourbons-Orléans, cette « Race qui, en mille ans, a fait métier dʼopérer le rassemblement et la direction du pays. »[3] Mais nʼest-il pas curieux, de la part du théoricien du nationalisme intégral, cet éloge de la « race internationale des Rois »[4] ? Parce que la conduite politique de affaires dʼune nation relève autant du plan domestique que du plan mondial, nul nʼest plus adapté quʼune famille ayant des liens de sang par-delà les frontières. Comme le souligne Maurras, « la Monarchie héréditaire est le plus national et aussi le plus international de tous les pouvoirs »[5].
Pour illustrer le caractère crucial de la famille dans le domaine sociopolitique, Maurras précise que « Napoléon se proposait précisément dʼaffaiblir les anciennes familles françaises afin dʼassurer sa domination et dʼaffermir lʼÉtat en constituant autour de lui une aristocratie héréditaire nouvelle. »[6]
Et mentionne un document faisant office dʼexemple pertinent, une lettre du 5 juin 1806 que Napoléon Ier adressa au roi de Naples, Joseph Bonaparte :
« Je veux avoir à Paris cent familles, toutes sʼétant élevées avec le trône et restant seules considérables, puisque ce ne sont que des fidéicommis, et que ce qui ne sera pas à elles va se disséminer par lʼeffet du Code civil. […] Voilà le grand avantage du Code civil. Il faut établir le Code civil chez vous. Il consolidera votre puissance, puisque par lui tout ce qui nʼest pas fidéicommis tombe, et quʼil ne reste plus de grandes maisons autres que celles que vous érigerez en fiefs. »
Cette thèse-maîtresse de lʼécole maurrassienne dʼaprès laquelle les Rois ont fait la France implique par conséquent une conception sociologique originale, mais, au-delà, elle constitue la substantifique moelle du discours de LʼEnquête. En voici un condensé fort utile :
« Les souvenirs de Rome ont fait lʼunité italienne. La réalité de la race et de la langue germaniques, unie aux traditions de Charlemagne et du Saint-Empire, a fait lʼunité allemande. Lʼunité britannique est résultée de la condition insulaire.
Mais lʼunité française, œuvre de politique, de la plus souple, de la plus longue et de la plus ferme politique autoritaire, résulte exclusivement des desseins continués pendant 1 000 ans par la Maison de France.
Cette unité, si solide quʼelle semble aujourdʼhui spontanée et naturelle, est lʼœuvre unique de nos princes. […] Bien que partie dʼun certain point du pays, cette dynastie populaire et militaire sʼest peu à peu étendue jusquʼaux confins de lʼancienne Gaule ; sa tradition sʼest amalgamée à toutes les nôtres. »[7]
Et lʼargument qui nous semble le plus décisif pour poser la supériorité de la royauté sur tout autre régime sʼappuie sur la réalité du principe dynastique, et donc de la famille, de la loi de lʼhérédité :
« Que le pouvoir suprême soit concentré en une famille ou réparti entre plusieurs, le régime dʼhérédité a pour effet premier de nationaliser leur pouvoir. La dynastie régnante ou, si elles sont en nombre convenable, les familles prépondérantes, étant unies étroitement, par leur intérêt propre, aux plus profonds intérêts de lʼÉtat, cherchent, sans doute, comme tout ce qui est humain, leur intérêt particulier : mais, en le trouvant, elles trouvent en outre et en même temps lʼintérêt général. »[8]
Rien, pas même le rouleau compresseur de la modernité, ne saurait anéantir cette institution sociale fondamentale quʼest la famille. Et si le journaliste de Challenges Bertrand Fraysse se plaint que le « mythe » des 200 familles perdure[9], va-t-il ensuite sʼindigner de la thèse suivant laquelle les XVIIème et XVIIIème siècles virent les Maisons Habsbourg et Bourbon dominer le monde ? ■ (FIN)
[1] Charles Maurras, op. cit., p. CXXIV.
[2] Ibid., p. CXXV.
[3] Ibid., p. CXXVI.
[4] Ibid., p. CXXXIV.
[5] Ibid., p. CXXX.
[6] Ibid., p. 13.
[7] Ibid., p. 462. Ceci est un extrait de « Dictateur et Roi » (août 1903).
[8]Ibid., p. 140.
[9] https://www.challenges.fr/france/les-200-familles-mythe-persistant_718692
Lire les articles précédents de cette série.
[1] [2] [3] [4] [5] [6]
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
Publié le 26 août 2020 – Actualisé le 9 juin 2022
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Série vraiment intéressante. J’ai lu de bout en bout la totalité. Merci,