Nous vous proposons ici et les jours suivants la lecture intégrale de l’ouvrage publié sous ce titre par Henri Massis et Robert Brasillach, chez Plon, en 1936, après que le siège de l’Alcazar se soit achevé par l’héroïque victoire des troupes du général Franco. À l’heure où la République française est devenue coutumière d’hommages assez dérisoires rendus à presque n’importe qui, le récit de la résistance victorieuse des Cadets de l’Alcazar nous rendra l’exemple du pur et véritable héroïsme. C’est presque un reportage. Il émeut souvent, il peut aussi rendre confiance.
Bâti au sommet d’un rocher en pente, 1’Alcazar s’élève sur plusieurs étages de souterrains, dont l’entrée se trouve de plain-pied avec la cour et les esplanades, ce qu’explique l’escarpement du terrain. L’accès en était interdit d’ordinaire — c’est pourquoi les Cadets ne les connaissaient pas, tous ; mais ils ont eu tôt fait de les explorer, de les mettre en état, d’y placer tout le monde à l’abri, bref, d’organiser les conditions de cette vie nocturne. qui va être désormais celle de la forteresse.
Pour la protéger contre l’assaillant, les Cadets ont eux-mêmes installé les mitrailleuses d’instruction de 1′ École an fond de ces chambres étroites, longues de cinq mètres, qui servent de fenêtres crénelées aux salles des quatre tours. Toutes les ouvertures des étages qui n’ont pas été évacués ont été bouchées avec des matelas, des planches, des sacs à terre, et surtout avec les livres de la riche bibliothèque dont on a vidé les rayons. La bibliothèque elle-même a été transformée en bastion ; et par l’une de ses fenêtres, un petit canon — le seul qu’on possède — semble braver les Rouges. Quant aux munitions, on n’en manque point, grâce au hardi coup de main du colonel Moscardo.
Ce qui fait le plus défaut, c’est la lumière. L’électricité a tout de suite été coupée ; seul le téléphone fonctionne avec la ville. Et il a fallu des jours pour que les piles, empruntées au cabinet de physique, permissent de mettre en marche le poste de radio. Jusqu’au 15 août, pas la moindre nouvelle ; et les premières, les seules qu’on ait alors pu capter, ce sont celles qu’émet le poste de Madrid ! Or la proximité de la capitale empêche d’entendre Radio-Séville, et l’on continue de tout ignorer du mouvement insurrectionnel.
Mais à force d’ingéniosité, de patience, voici qu’on a obtenu Radio-Milan, puis le poste du Radio-Club portugais qui a offert ses services à la junte de Burgos, et qui va jouer un rôle si important pour maintenir le moral des assiégés*.
Néanmoins, l’Alcazar reste presque sans communication avec les nationaux. Quelle émotion – la plus forte de ce siège — lorsque, le 22 août, un de leurs avions réussit à jeter un pli du général Franco à l’adresse du colonel Moscardo ! [Photo] Un second avion, le 6 septembre, parvint pareillement à lancer un message du général Mola et un message des femmes de Burgos aux Cadets. Mais, pendant des journées entières, la canonnade incessante les empêche de rien capter ; aussi ne savent-ils pas encore la prise de maints petits villages dont les noms jalonnent la marche sur Tolède. Parviennent-ils a « prendre » Radio-Madrid, on n’y annonce que victoires sur victoires des gouvernementaux, et seuls de lointains coups de carton leur révèlent qu’on se bat dans la Guadarrama ou sur le Tage.
Depuis que les Rouges emploient l’artillerie lourde, les canons de 155 et les tanks, les « sorties » sont devenues pratiquement impossibles. Du cimetière, les batteries ennemies tirent sans relâche sur la façade nord de la citadelle, et du tertre des Alijares, l’ancien campement des Cadets, elles prennent la façade est sous leur feu. Un cornette de la garde civile est constamment en observation qui signale par une sonnerie la flamme de départ des obus. Mais, pour répondre à l’adversaire, les assiégés n’ont d’autre artillerie que le petit canon de la bibliothèque et ne disposent que d’une cinquantaine de coups. Entre. les bombardements, c’est avec leurs fusils, leurs mitrailleuses, qu’ils repoussent les nombreux assauts qui sont tentés de la place de Zocodover vers l’esplanade Nord de la Citadelle. Ils ont dû, toutefois, renoncer à leurs entreprises nocturnes, car les Rouges ont découvert que les magasins à blé étaient pillés pendant la nuit, et sur les bâtiments d’alentour, couverts de pancartes menaçantes, ils ont installé de puissants projecteurs qui interdisent toute sortie…
Sous leurs faisceaux aveuglants, l’Alcazar parait tout illuminé, et c’est, au reste, la seule lumière qui l’éclaire… Pendant sept semaines, les réfugiés n’auront d’autre éclairage intérieur que celui de lumignons improvisés, dont la mèche trempe dans de la graisse de cheval et brûle en répandant une âcre fumée. C’est pourtant à la lueur de ces quinquets qu’on opère les blessés, – et l’on, en opérera plus de cent vingt au cours du siège, dont quatorze qu’il faudra amputer.
L’infirmerie, comme les dortoirs, a été, elle aussi, transportée dans les casemates. On devra même, à quatre reprises, la déplacer, car les explosions la démoliront par trois fois. Le major Manuel Pellas, chirurgien en chef, assisté de deux médecins militaires, a pu néanmoins organiser un véritable hôpital où les soins sont donnés par la Mère Josépha Barber et cinq religieuses de Saint-Vincent de Paul. Ce sont elles qui assurent ce lourd service, aidées par quelques femmes, de toutes les classes de la société, dans une admirable union d’héroïsme et de ferveur.
A l’un des angles du premier souterrain, les Cadets ont élevé un autel à la Vierge (l’Immaculée Conception est, en Espagne, la patronne de l’Infanterie). Et dans les ténèbres de, cette chapelle primitive, où les femmes sont sans cesse en prière, les défenseurs de l’Alcazar viennent tour à tour s’agenouiller devant l’Invisible présence de Celle dont ils attendent le secours…
Selon les nécessités, on a pourvu peu à peu à tous les besoins de l’existence. Pour nourrir les dix-neuf cents réfugiés qu’abrite l’Alcazar, une immense cuisine a pu être installée, grâce au matériel de l’Intendance. Mais il a fallu, par deux fois, en changer l’emplacement pour la mettre à l’abri des obus de 155 : quatre soldats n’ont-ils pas été tués, un jour qu’ils montaient des quartiers de viande aux cuisines ? L’abattoir est, en’ effet, situé dans les plus basses galeries, près des caves où l’on a dû enfermer les mulets et les chevaux que les bombardements épouvantent.
Près des salles basses où les sacs de blé s’entassent, on écrase le grain avec un moulin de fortune que d’ingénieux garçons ont construit à l’aide d’un moteur d’auto. Un four de campagne sert à la cuisson d’un pain dur et indigeste, qui fait les délices des assiégés. Pour boire, on se contente de l’eau saumâtre des citernes. Une d’elles a été récemment crevée par une bombe, mais l’eau ne manque pas ; et, grâce â Dieu, l’on n’aura pas besoin de se servir des puits des maisons voisines, que les. Rouges ont empoisonnés dès le début du, siège.
La piscine souterraine, où les canons des Alijares ont ouvert de grandes brèches qui l’aèrent, la piscine va dorénavant servir de sépulture aux morts. On les a d’abord enterrés dans le manège ; mais la chose est devenue bientôt trop périlleuse. Pour ensevelir les corps, on soulève les dalles qui entourent le bassin de la piscine ; puis on les recouvre d’une légère couche de terre, dont on ne possède que quelques pelletées. Plus tard, quand il n’y aura plus de place, on déposera les morts sous le sol des cabines de bain. ■ (À suivre, demain vendredi).
* Le poste était dirigé par le capitaine d’état-major Botelbo Moniz. Un service d’informations avait été créé, et, chaque jour.de Parede sur les bords du Tage, à une quinzaine de kilomètres de Lisbonne, le Radio-Club portugais donnait des nouvelles de la guerre, le plus souvent par l’intermédiaire du capitaine Moniz en personne (sa femme est de Madrid) ou de l’Espagnol José Maria Peman.
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