Quel est, pour vous, le comble de la misère ?
Ne plus aimer, ne plus être aimé.
Où aimeriez-vous vivre ?
Là où je suis.
« C’est d’âme qu’il faut changer, pas de lieu », disait Sénèque.
Votre idéal de bonheur terrestre ?
Savoir tout accueillir sans rien retenir.
Pour quelles fautes avez-vous le plus d’indulgence ?
Celles commises par amour, même si on se trompe sur le niveau et la qualité de cet amour. L’amour humain peut être sacré ou profané, il n’est jamais totalement profane.
Quel est votre personnage historique favori ?
Marc Aurèle. « Veux-tu mépriser une chose : résous-là en ses éléments », écrivait-il. Le beau, c’est la totalité ; le mal émiette. Le diable se définit dans la mythologie orientale comme un « mangeur de morceaux ». La plus belle femme du monde coupée en morceaux perd beaucoup de sa beauté. Ce qui me blesse aujourd’hui dans notre époque, c’est justement l’émiettement. La multiplication des seuls, dont parle Valéry.
Votre saint préféré ?
Saint Jean de la Croix. Le Docteur de la nuit, le plus extrémiste de tous les saints, avec qui Nietzsche se serait très bien entendu. Je suis réaliste parce que je défends les « milieux de soutien » : je sais qu’un Dieu sans Église est le début d’une Église sans Dieu. Mais je suis extrémiste par mon attrait pour la théologie négative, la mystique de la nuit, le « Dieu sans fond ni appui » qui était celui de saint Jean de la Croix et qui est le mien aujourd’hui.
Votre sainte préférée ?
Thérèse de Lisieux.
Quelles sont les dix personnes que vous aimeriez inviter à dîner ?
Marc Aurèle, Thomas More, Henri IV, Pascal, Malesherbes, Napoléon, Victor Hugo, Simone Weil, Marie Noël, Gabriel Marcel.
Le siècle où vous auriez aimé vivre ?
Le XIIe, le plus libre des siècles, celui de l’unité de l’Europe, culturelle et spirituelle. J’aurais également apprécié le XVIIIe siècle pour la finesse de l’esprit. Un exemple : l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, recevant l’ambassadeur de Turquie, lui confesse : « Ce que je n’apprécie pas dans votre pays, c’est la polygamie ». Réponse du diplomate : « Madame, plaignez-nous d’être obligés de chercher en plusieurs femmes les qualités qu’on trouve réunies chez Votre Majesté ! »
Votre qualité préférée chez l’homme ou la femme ?
La bienveillance ou, à défaut, la politesse.
Votre occupation préférée ?
Marcher dans la nature. « On ne peut penser qu’assis », écrivait Flaubert, à
qui répondait Nietzsche : « Les grandes idées viennent en marchant ».
Votre principal défaut ?
J’en ai tellement que je me sens incapable d’en privilégier aucun.
Le principal trait de votre caractère ?
La docilité. Je me suis toujours laissé faire par les hommes, par les femmes, par les circonstances. Je préfère obéir que commander, me laisser conduire par la vie et par ses hasards qui sont le chemin que Dieu prend lorsqu’Il veut passer incognito.
Ce que vous appréciez le plus chez vos amis ?
La simplicité.
Votre rêve de bonheur ?
Le bonheur ne se rêve pas. Il est partout à condition de tout accueillir comme don de Dieu.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Ne plus aimer, ne plus être aimé. Ce que j’ai de meilleur et de pire, c’est de l’amour humain qu’il me vient. J’ai aimé, j’ai été aimé, et peut-être ai-je spontanément cherché dans les promesses de l’amour humain ce que Dieu seul peut tenir. J’ai aimé de tout mon poids temporel et de tout mon élan éternel. Mon erreur, ou ma faute, ou mon péché est dans l’amour démesuré des êtres finis.
Votre passage d’Évangile préféré ?
« Père, pourquoi m’as-tu abandonné ! » Ce cri me touche de près aujourd’hui. Sur la Croix, Dieu désespère de lui-même, et, si j’ose dire, meurt athée. Je crois, avec Chesterton, que « Notre religion est la bonne car c’est la seule où Dieu un moment a été athée ». Je suis amoureux de ce Christ en agonie, l’Homme des douleurs, Dieu devenu infiniment faible, Dieu abandonné de Dieu. Si j’avais été religieux, j’aurais choisi le nom de Frère X de Gethsémani.
Le passage de la femme adultère m’est également très cher. Dieu est à la fois l’exigence infinie et l’indulgence infinie. Il nous pardonnera ce que nous n’osons pas nous pardonner à nous-mêmes. Cet apologue oriental me touche beaucoup : le Diable dit à Dieu : « ce qui m’étonne chez toi, c’est que les hommes ne font que pécher et tu leur pardonnes sans cesse, alors que moi je n’ai péché qu’une seule fois, et tu ne m’as jamais pardonné ! »; Et Dieu lui répond : « mais toi, combien de fois m’as-tu demandé pardon ? »
J’aime aussi l’histoire de ce meurtrier qui, pris de remords, va se confier à un pasteur protestant. « J’ai tué », dit-il. Le pasteur s’indigne. Désorienté, l’assassin va se confesser à un prêtre. « Mon Père, j’ai tué » ; « Combien de fois, mon fils ? », répond l’homme de Dieu avec calme. Du coup, le pécheur se convertit.
J’aime les histoires de miséricorde. À mesure que l’on vieillit, on se sent plus indulgent pour les autres. La liberté me semble si mesurée que je ne juge plus, j’ai pitié.
Comment définiriez-vous l’enfer ?
Comme Simone Weil : « Se croire au paradis par erreur ».
Et la mort ?
Comme Gabriel Marcel : le « dépaysement absolu », un saut vertigineux que je m’interdis d’imaginer : il ne faut pas enlever sa virginité, dépuceler d’avance ce retour à la patrie ; puisque notre vie est un exil.
Nous serons stupéfaits quand nous verrons les lignes courbes par lesquelles Dieu a écrit, et à quel point le mal et le bien s’enchevêtrent. Je crois à la solidarité du bien et du mal, de l’ivraie et du bon grain. Il y a parfois des vertus qui perdent et des péchés qui sauvent, non par eux-mêmes, mais par rebondissement. Vient un moment où il faut se repentir de sa vertu comme on se repend de son péché.
Votre prière préférée ?
Le « Salve Regina » : Marie, ou la miséricorde qui désarme la justice.
Votre maxime préférée ?
« Nous ne serons jamais contents de rien ici-bas, tant que nous ne serons pas contents de n’être rien » (Shakespeare).
La fleur que vous aimez ?
Le lys.
L’animal que vous préférez ?
La vache, pour sa docilité, son consentement inconscient à se laisser exploiter par l’homme et sa faculté pour ruminer. Bernard-Henri Lévy m’a flatté en me définissant comme un « philosophe bovin ».
Vos auteurs favoris en prose ?
Bossuet, Chateaubriand, Balzac, Dostoïevski, Céline.
Vos poètes préférés ?
Villon, Racine, Victor Hugo, Verlaine, Marie Noël, Mistral, Dante, Garcia Lorca et les romantiques allemands (Hölderlin, Novalis)
Votre vers préféré ?
« Elle regardait en haut, et moi en elle » : Dante apercevant le reflet de Dieu dans le regard de Béatrice, déjà sauvée.
Votre héros dans la vie réelle ?
Bayard.
Votre héroïne dans l’Histoire ?
Jeanne d’Arc.
Votre mot d’amour préféré ?
« Ti voglio bene » : « Je t’aime » en italien. Ce qui signifie : «Je te veux du bien ». Aimer un être, c’est lui dire : « Toi, tu ne mourras pas ». En amour, je serais un peu porté à la démesure : j’aime beaucoup le « je choisis tout » de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Et ce mot d’un voisin paysan me parlant de la femme aimée : « Quand je la regarde, je ne la vois plus ».
L’amour humain, c’est la soif d’infini appliqué au fini. J’ai aimé les choses du temps d’un amour éternel, et c’est déchirant. Les grands moments de l’amour humain sont appel beaucoup plus que plénitude. C’est pourquoi je sais gré à l’amour de m’avoir sauvé du bonheur… ■
* Pour Famille Chrétienne.
Récemment cité par Patrick-Gabriel Robert
« Mon » Indépassable Gustave Thibon (1903-2001)