Nous vous proposons ici et les jours suivants la lecture intégrale de l’ouvrage publié sous ce titre par Henri Massis et Robert Brasillach, chez Plon, en 1936, après que le siège de l’Alcazar se soit achevé par l’héroïque victoire des troupes du général Franco. À l’heure où la République française est devenue coutumière d’hommages assez dérisoires rendus à presque n’importe qui, le récit de la résistance victorieuse des Cadets de l’Alcazar nous rendra l’exemple du pur et véritable héroïsme. C’est presque un reportage. Il émeut souvent, il peut aussi rendre confiance.
INTERVENTIONS
Le 13 septembre, Saint-Sébastien tombe entre les mains du général Mola. Tout le. Nord appartient désormais aux forces nationalistes. Il leur faut maintenant venir délivrer Tolède, où on les attend depuis cinquante-cinq jours. Le sort des assiégés de l’Alcazar angoisse le monde entier qui se demande : « Sont-ils encore vivants ? »
Après un entretien avec Largo Caballero, chef du gouvernement de Madrid, l’ambassadeur du Chili, M. Nunez Morrado, doyen intérimaire du corps diplomatique, se rend à Tolède, pour qu’on lui accorde la libération des vieillards, des femmes et des enfants. Il obtient du commandant Barcelo l’assurance que ceux qui sortiront de l’Alcazar auront la vie sauve ; il obtient même, que la protection et le ravitaillement des réfugiés lui soient confiés.
Ces propositions sont communiquées aux assiégés, le lendemain matin. Lé. colonel Moscardo, y répond en ces termes : si l’ambassadeur du Chili désire quelque chose de nous, qu’il se mette en rapports, par l’intermédiaire de son gouvernement, avec notre gouvernement de Burgos. [Photo]
Le Comité de guerre de Tolède saisit immédiatement l’occasion pour déclarer que les négociations sont rompues ; et le bombardement de l’Alcazar reprend avec plus de violence. On vient, d’ailleurs, d’apprendre que la colonne Yague a reçu du général Franco un renfort de 25 000 hommes, et que, sur le front de Talavera, elle occupe la ville de Santa-0llala et quelques villages. Des deux côtés, on sent que c’est à Tolède que va se décider la victoire.
L’ALCAZAR SAUTE
Le 17 septembre, pourtant, urne nouvelle désertion se produit à l’Alcazar. Le lieutenant Barrientos, avec huit hommes, est sorti, sous le prétexte de tenter un coup de main pour se procurer des vivres. Arrivé près de la poterne, il jette ses armes, et tandis que les soldats rentrent précipitamment dans l’Alcazar, il se livre aux miliciens. Il leur peint la situation de la forteresse en termes si propres à leur donner confiance, que le Comité de guerre ne doute plus de l’issue de la lutte et décide sur-le-champ de faire exploser les mines préparées depuis plusieurs jours.
Des mineurs, venus des Asturies, ont creusé des galeries juste au-dessous des murailles et des bâtiments de la citadelle. Pendant des heures entières, les assiégés entendent le bruit aigu, les vibrations des perforeuses dans le granit — ce qui- leur met lei nerfs à vif et les remplit d’effroi. La peur de l’ensevelissement les hante. Ils craignent d’être enterrés vivants dans ces catacombes. L’Alcazar va-t-il s’affaisser tout entier, devenir leur tombeau ?
Cependant des ingénieurs suivent au son l’avance des travaux de ,sape, – et l’un d’eux réussit même à repérer exactement la position des fourneaux de mine ou la dynamite s’accumule — ce qui permet d’évacuer les zones menacées.
Vers la fin de cette terrifiante journée, El Alcazar apporte de grandes nouvelles qui confirment tout ce qu’on a appris, ces dernières semaines. Depuis la prise de Badajoz, par une suite de bonds rapides, la colonne Yague a occupé Trujillo, puis Oropesa, d’où elle a chassé le général Riquelme, et enfin Talavera. Toute la vallée du Tage, plus de deux cents kilomètres, se trouve dégagée, Santa-Olala est conquise, Mogueda menacée. Et les troupes nationales sont désormais à quelques lieues de l’Alcazar.
Dans la nuit du 17 au 18 septembre, le Comité de guerre fait sonner le clairon dans les rues de Tolède et avertit la population, par haut-parleur et par T. S. F., d’avoir à quitter immédiatement l’enceinte de la ville. Tous les, habitants partent camper à deux kilomètres de là, dans la plaine. Il souffle un vent très froid. Au pied des parapets de sacs à terre, les miliciens ont dû allumer des feux, et, sous les voûtes moisies des souterrains de l’Alcazar, les femmes et les enfants grelottent, blottis dans des couvertures.
Vers le milieu de la nuit, le commandant Rojo prévient les cadets et les officiers que les mineurs asturiens ont achevé leurs préparatifs. Les assiégés ne répondent pas. Les sept tonnes d’explosifs sont en place, et les perforeuses marchent toujours, de façon à laisser ignorer l’heure exacte de l’explosion. Jusqu’à l’aube, ce bruit terrible, ces vibrations lancinantes tiennent éveillées, à la clarté blafarde des quinquets, les sentinelles blêmes de sommeil, les femmes transies d’épouvante, avec leurs enfants sur les genoux. Cette nuit ne va donc pas finir !
A 7 heures du matin, le 18 septembre, un mineur presse un bouton pour mettre le feu à une mèche longue d’une soixantaine de mètres installée dans une des galeries. Une minute interminable s’écoule… Puis une explosion prodigieuse secoue la terre, la déchire, et Tolède, tremble tout entière sur son éperon rocheux. Des hauteurs des Cigarrals, de San Servando, photographes et opérateurs de cinéma, que le gouvernement a envoyés, tournent fiévreusement ce cataclysme fantastique, provoqué par la furie humaine…
Sur le ciel gris où s’amassent des nuages lourds de pluie, une gigantesque colonne de fumée s’élève en tourbillons noirs, comme d’un volcan. D’énormes blocs de maçonnerie sont projetés de ‘toutes parts et s’écroulent dans un fracas de chute, d’avalanche assourdissante. La grande tour du sud-ouest, soulevée en l’air d’un seul bloc, retombe en mille éclats. Et le déchirement formidable se prolonge à travers les gorges du Tage, comme l’écho de la foudre dans les montagnes, puis s’engouffre en mugissant dans les souterrains de l’Alcazar où tout semble anéanti…
… Une heure de mortel silence passe, qui semble sans fin. Persuadés qu’il ne reste plus qu’une poignée d’hommes réfugiés dans quelque cave, les miliciens s’avancent, armés de baïonnettes et de grenades. A travers le sol, couvert de crevasses, ils se fraient un chemin, puis envahissent les ruines, en brandissant le drapeau rouge de l’Union Nationale des Travailleurs et le drapeau rouge et noir de la Fédération anarchiste. Un de ces drapeaux est aussitôt juché sur la statue de Charles-Quint, toujours debout au milieu de la cour d’honneur.
Autour des miliciens qui, la grenade au poing, hésitent à s’engager plus avant, le vaste patio, éventré par la dynamite et par les bombes, dresse encore, ici et là, un arc parfait, un fragment de voûte, un gracieux chapiteau surmonté du bestiaire héroïque de l’Espagne. Quelle surprise attend les envahisseurs, derrière ces pierres fumantes ? Ils ne bougent plus, soudain saisis d’effroi. La seconde mine, décidément, n’explose toujours pas ! Craindraient-ils d’être pris à leur propre piège ?
Mais voici que, dans leurs rangs même, une, grenade éclate, puis une autre. Traversés de clameurs, des coups de feu partent de tous côtés. Ce ne sont pas les fantômes des assiégés de l’Alcazar qui bondissent sur eux, les armes à la main, ce sont les gardes civils, les phalangistes, des soldats de seize ans que mènent de jeunes chefs à peine moins novices. Ils sont vivants, et bien vivants ! L’explosion n’a servi à rien, et ces démons, qui se moquent des bombes et des obus, courent au milieu des ruines et foncent sur l’ennemi…
Après les premières minutes de confusion, de surprise, le combat devient acharné : c’est une averse sifflante de balles, un crépitement rapide de coups de feu et de grenades qui arrachent et font voler en éclats les pierres des murailles. Une bombe de mortier éclate à quelques mètres de l’excavation où s’abrite le commandant Barcelo ; touché aux jambes, il reprend son poste dès qu’il a pu se faire panser. Ses deux officiers d’ordonnance, le lieutenant Salinero et le lieutenant Almagro sont gravement blessés. Des deux côtés, la lutte se poursuit, durant des heures, avec une violence égale, et Barcelo finit par donner l’ordre d’abandonner les avancées de l’Alcazar. Les insurgés en profitent pour tenter de reprendre l’ancien palais du Gouvernement militaire que les incendies n’ont pas réussi à détruire.
Une fois de plus, les Cadets sont les maîtres de la citadelle ; et vers cinq heures du soir, les miliciens ne peuvent que consolider leurs positions, remettre en état les parapets de leur tranchée de départ. Le, peintre Luis Quintanaya qui, après la blessure du commandant Barcelo, a pris le commandement des troupes, leur donne l’ordre de n’en point sortir.
En se retirant, les miliciens et les mineurs des Asturies laissent des pétards de dynamite pour empêcher les assiégés d’utiliser les positions où ils avaient pris pied. Quant à la seconde mine, ils ont dû se rendre à l’évidence : elle n’a pas éclaté ; et dès la fin de la journée, sur l’ordre du Comité de guerre, les mineurs se préparent à en poser une troisième.
Dans l’Alcazar, par une sorte d’héroïque défi au destin, les assiégés donnent un banquet pour fêter l’explosion de la mine ! Et, ce soir encore, les Rouges vont entendre des chansons monter de ces souterrains infernaux. ■ (À suivre, demain mercredi).
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