Nous vous proposons ici et les jours suivants la lecture intégrale de l’ouvrage publié sous ce titre par Henri Massis et Robert Brasillach, chez Plon, en 1936, après que le siège de l’Alcazar se soit achevé par l’héroïque victoire des troupes du général Franco. À l’heure où la République française est devenue coutumière d’hommages assez dérisoires rendus à presque n’importe qui, le récit de la résistance victorieuse des Cadets de l’Alcazar nous rendra l’exemple du pur et véritable héroïsme. C’est presque un reportage. Il émeut souvent, il peut aussi rendre confiance.
L’ATTAQUE A L’ESSENCE
Le Comité de guerre siège en permanence. Lorsque, du ministère de la Guerre, de la présidence du Conseil (ou de ces bureaux plus redoutables encore que dirigent les partis communiste ou anarchiste), Madrid demande à Tolède si l’Alcazar est aux miliciens, le commandant Barcelo ne peut que, faire des aveux embarrassés.
Encore .ignore-t-il quelle est la situation exacte : l’avance sans obstacle du général Franco et du général Mola, la sourde résistance des populations, terrorisées qui restent encore soumises au gouvernement. Mais, à Madrid, où les communiqués officiels eux-mêmes n’arrivent pas à cacher l’angoisse des chefs, on sait mieux encore combien importerait la chute de Tolède. On voudrait couper court, le plus tôt possible, aux protestations qui s’élèvent de toute part en Europe, d’Angleterre en particulier, contre la durée et la cruauté de ce siège. Il faut, à tout prix, venir à bout de l’Alcazar.
Le chef des forces gouvernementales, le général Asensio, arrive dans la nuit même à Tolède, porteur d’ordres formels.
Au cours de délibérations orageuses, on lui apprend que les mineurs asturiens sont prêts à faire sauter la troisième mine. Mais y a-t-il quelque chance de réussir mieux que la veille? Asensio ne le pense pas : aussi décide-t-il de faire incendier le palais du Gouvernement militaire et l’aile gauche de l’Alcazar, qui est encore debout. Des automobiles de pompiers sont déjà partis pour Tolède, avec deux camions-citernes remplis de « gazoline » – car c’est à l’essence qu’on va, incendier l’Alcazar.
Il semble pourtant impossible que le feu puisse venir à bout de ces édifices de granit ; mais il n’y pas à discuter les ordres que le général Asensio rapporte de Madrid. Le 19 septembre, vers 10 heures du matin, on aperçoit, par le mirador, la masse cahotante des camions-citernes qui arrivent à Zocodover.
Aussitôt les pompiers déroulent un immense tuyau de toile à travers l’hôpital de la Santa-Cruz. Les miliciens, qui veillent à la manœuvre, ont dû éteindre leurs cigarettes, et l’ordre est donné de ne faire de feu sous aucun prétexte. Quelques soldats saisissent l’extrémité du tuyau comme une lance, puis, sous la protection des fusils, se dirigent au pas de course vers le Gouvernement militaire que, la veille, les assiégés ont repris.
Le commandant Barcelo, de son observatoire, suit l’opération, Déjà les miliciens arrivent au but… L’essence commence à jaillir… Soudain, d’une fenêtre matelassée surgit une ombre rapide : un jeune homme saute hors des ruines, sans protection, un revolver au poing. Il se précipite sur les assiégeants, les saisit à bras-le-corps, leur arrache le tuyau, et, avant qu’ils n’aient le temps de se rendre compte de son audace, retourne le jet d’essence contre leurs positions. Derrière lui, d’autres garçons ont surgi… Des deux côtés, les coups de feu partent avec un bruit de rafale. L’héroïque jeune homme tombe, criblé de, balles, mais à côté de lui gisent les miliciens. Ses camarades, qui se font une protection de leurs corps, repoussent l’ennemi à coups de fusils et de grenades. La rampe de l’Alcazar, en quelques minutes, est dégagée. L’hôpital de la Santa-Cruz referme ses portes. Les assiégés, en file indienne, le long des murs démantelés, regagnent leurs souterrains…
Avec la fumée qui monte des ruines, l’odeur de la poudre et de l’essence, cet extraordinaire épisode, l’un des plus étonnants du siège de Tolède, ne nous en donne-t-il pas aussi la couleur ? Nous sommes bien ici dans la guerre moderne, où la chimie a sa part, où les hommes inventent sans cesse de nouvelles manières de tuer. Mais nous sommes aussi dans la guerre de l’Espagne éternelle, celle de la Reconquista et celle de Rodrigue, où la bataille est d’abord un combat singulier, où le mépris de la mort et l’honneur restent au premier rang. Les armes ont pu changer, les hommes peuvent disposer de moyens nouveaux : l’épisode de la lance, dans cette chanson épique que compose la défense de l’Alcazar, nous prouve que le héros sait toujours rompre la nouveauté de l’attaque et du destin, et qu’il se bat d’abord avec son courage et avec son corps.
A midi et demi l’attaque a repris : une soixantaine de gardes d’assaut, conduits par un lieutenant, se porte à l’attaque de la rue Santa-Fe, derrière la Posada de la Sangre. Ils réussissent à pénétrer dans le manège de l’Alcazar ; après une heure de combat, ils doivent se replier, en laissant vingt morts sur le terrain.
Par contre, les assiégés maintiennent toutes leurs communications avec le couvent des Capucins et le Gouvernement militaire ; mais, sous le bombardement de l’après-midi, il leur faut cesser le feu. Les dynamiteurs de la Fédération anarchiste et les spécialistes de la compagnie des gardes d’assaut en profitent pour ouvrir une brèche dans un mur du Gouvernement militaire, et pour y lancer un chapelet de six cartouches de dynamite ; elles explosent sans produire de dégâts.
Vers le soir, une pluie torrentielle s’est abattue sur la Castille, et, sous les lueurs des incendies, la ville disparaît dans une âcre fumée humide. Les habitants, réfugiés dans la campagne boueuse, regardent monter, sur un horizon de vapeurs et de nuages, une ville étrange, grise et noire, déjà promise à l’anéantissement.
Cette maison qui brûle, à peine signalée par une fumés plus épaisse, est-ce une de ces demeures célèbres, un de ces couvents illustres dont elle était si fière ?
Est-ce Santa Tomé, San Vicente et ses Greco ? Ou le patio de las Pantojas, avec son jardin de Paradis terrestre et ses colonnes de pierre fleuries ? Est-ce Santa Maria la Blanca [Photo] ? L’agonie de Tolède a-t-elle commencé ?
ATTAQUES MANQUÉES
Tous les efforts tentés pour délivrer les femmes et les enfants sont restés vains. La Commission de la Croix-Rouge Internationale, convaincue que son intervention serait trop tardive et que le siège va prendre fin, quitte Madrid pour Barcelone, — tandis que le gouvernement: de Burgos déclare « Les héros de l’Alcazar résisteront jusqu’à l’arrivée des troupes du Sud. »
Assiégés et assiégeants sont au contact, et à l’aube du 20 septembre, la fusillade recommence. De nouveau, les miliciens ont arrosé d’essence différents dépôts, puis ils y ont mis le feu. A peine les insurgés les ont-ils chassés de leurs positions, qu’ils réapparaissent à d’autres endroits. Au cours de la nuit, ils réussissent même à planter le drapeau rouge sur les pierres de l’Alcazar. Le matin, une grêle de balles abat l’emblème révolutionnaire que les assiégés remplacent par le drapeau rouge et or de la. vieille Espagne.
Vers 11 heures, un groupe de vingt gardes d’assaut, armés de grenades, réussit à passer devant le Gouvernement militaire et monte jusqu’à l’Alcazar. Ils sont aussitôt pris en écharpe par les mitrailleuses et obligés d’abandonner la place, Deux autres attaques, l’une par la même voie, l’autre par les ruines de Zocodover, échouent, dans la matinée, de façon sanglante. ■ (À suivre, demain jeudi).
Articles précédents… [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9]
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source .