PAR PIERRE BUILLY.
Ceddo d’Ousmane Sembène (1977)
L’Afrique à nu.
Mystérieuse, fascinante, brutale et douce Afrique, qui est peut-être le berceau de l’Humanité, jadis divisée par des empires rivaux, naguère dispersée entre les puissances coloniales, qui auraient mieux fait de n’y pas aller, mais, y étant allées, auraient mieux fait de ne pas l’avoir abandonnée aux haines tribales et à l’avidité des multinationales, qui éclate aujourd’hui sous les coups de l’absurdité des structures imposées et de l’islamisme conquérant, et qui étouffera demain submergée par une démographie insupportable…
Si l’on n’a pas de goût ou d’attirance pour le continent, il n’y a aucune raison de s’intéresser à Ceddo, qui est un film assez mal fichu, trop long (2 heures), souvent languissant, quelquefois un peu bricolé, maladroit, emphatique réalisé par un des grands noms du cinéma africain, Ousmane Sembène. Un réalisateur qui ne manque pas de qualités et qui a tenté de faire concilier ses convictions marxistes avec l’essence de la réalité africaine. Car, ancien tirailleur sénégalais, il a au lendemain de la guerre, été un militant aguerri de la C.G.T. et du Parti communiste, figurant notamment dans le singulier Rendez-vous des quais de Paul Carpita où les communistes, avec la meilleure bonne foi du monde, justifiaient les sabotages qu’ils effectuaient sur les transports qui partaient vers nos soldats d’Indochine.
Mais le Diable peut porter pierre : le marxiste Sembène n’a pas de difficultés à montrer ce que fut l’Afrique ante-coloniale, déchirée entre l’animisme traditionnel et les irruptions monothéistes. Il règle vite le sort du catholicisme et il est plus narquois qu’agressif envers le pauvre missionnaire (Pierre Orma) qui n’est parvenu, dans le village qu’il dépeint, à convertir qu’un seul et pauvre fidèle. Il est beaucoup plus agressif envers l’Islam, qui est parvenu à s’imposer dans l’aristocratie wolof, à convertir le Roi (Matoura Dia) de la peuplade et toute l’aristocratie locale. L’Islam s’impose avec détermination et confiance à des populations qui n’ont pourtant guère envie de se convertir à une religion présentée comme austère et agressive et de jeter aux orties les fétiches et traditions qui ont formé leur structure mentale et leur civilisation.
Les ceddos (aussi appelés tiédos) sont des sortes de guerriers, de chevaliers, qui résistent autant qu’ils le peuvent aux assauts vigoureux de l’Islam, Islam appuyé par les aristocraties qui voient dans le Coran une forme commode de gouvernement. Pour protester contre cette invasion larvée, un Ceddo, Madir (Moustapha Yadé) enlève la fille du Roi, Dior Yacine (Tabata Ndiaye) qui a été promise au neveu du Roi, selon ce qui m’a semblé être une coutume particulière, où la succession est davantage avunculaire que filiale. Le prince Biram (Mamadou Diouné) et le grand guerrier Saxevar (Nar Modou) vont, l’un après l’autre, être tués par le ravisseur.
Tout cela fait qu’il n’y a plus d’héritier mâle et que le Roi, bien que converti à l’Islam, est plutôt un modéré, qui consent que ses sujets ne soient pas musulmans ; ça ne plaît pas du tout au fanatique imam (Gouré), qui tient un discours de haine stupéfiant (en tout cas, pour ceux qui se stupéfient de l’évidence) : Les musulmans ont le devoir de persécuter les impies, afin que règne l’ordre divin ou bien Un infidèle n’a pas de place à une assemblée de musulmans. Leur vie ne vaut pas même un crottin.
On comprend tout à fait – en tout cas on saisit – pourquoi le Président Léopold Sedar Senghor, Normalien, condisciple de Georges Pompidou, Académicien français, et premier président du Sénégal indépendant ait interdit Ceddo afin de ne pas froisser les musulmans, largement majoritaires dans le pays (95%).
La vive charge d’Ousmane Sembène a dû choquer et faire réagir l’opinion. Car si le missionnaire catholique apparaît comme un pauvre homme dépassé par les événements et incapable de convertir qui que ce soit, si l’esclavagiste européen, qui vend de l’alcool et échange de la chair humaine contre des fusils est seulement présenté comme un homme d’affaires indifférent, le discours islamophobe (comme on dit de nos jours) est percutant et constant.
Et, malgré une fin un peu tirée par les cheveux qui voit la princesse Dior tuer à bout pourtant l’imam qui a mis en servitude tout le village, on perçoit bien que le cinéaste désigne avec animosité l’Islam. Cela étant, en regardant Timbuktu d’Abderahmane Sissoko, qui se passe de nos jours et qui est bien plus vigoureusement filmé, on se dit encore davantage que l’Afrique est mal partie. ■
Voir ou revoir le film
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