PAR PIERRE BUILLY.
Si Paris nous était conté de Sacha Guitry (1956).
L’esprit de Paris.
Même si c’est plein de merveilles de drôlerie et d’esprit, même si la distribution est invraisemblablement nombreuse et éclatante (que les amateurs s’amusent, ici et là, à reconnaître, jouant des séquences de quelques secondes, des actrices et acteurs célèbres, – Danielle Darrieux, Françoise Arnoul, Odette Joyeux, Julien Carette -, même si c’est un beau, noble, émouvant film d’amour pour Paris et pour la France – les plus grandes et véridiques amours de Sacha Guitry -, ça n’atteint pas le niveau de Si Versailles m’était conté, tourné deux ans auparavant.
Sans doute parce qu’à vouloir trop embrasser, Guitry n’étreint pas tout à fait ; l’histoire de Versailles, plus limitée dans le temps, est celle d’un château, d’une demeure. Si grand qu’il est, le plus beau palais du monde offre des bornes, des limites, un cadre. Mais Paris !
Vouloir faire l’histoire de Paris, c’est faire l’histoire de l’esprit de Paris ; c’est d’ailleurs à peu près ce que dit Guitry, qui place dans la bouche de Rose Bertin, la plus délicieuse modiste et couturière du 18ème siècle, très bien interprétée, comme de coutume, par l’excellente Sophie Desmarets, qui naquit à Saint-Flour, Être de Paris, ce n’est pas y naître, c’est y renaître, ce n’est pas fatalement y avoir vu le jour, c’est y voir clair. Mais l’ampleur du propos, son caractère un peu abstrait, et peu compréhensible aux malheureux qui n’y vivent pas rend difficile d’égaler le parfait succès de Si Versailles.
En d’autres termes, ça part un peu dans tous les sens, au fil d’un récit sans logique temporelle, ça saute allègrement les siècles et enjambe la chronologie ; ce n’est pas vraiment gênant, puisque c’est annoncé tel et que Guitry se soucie, moins encore là qu’ailleurs, de la rectitude un peu pionne des livres d’histoire.
Après tout qu’en quelques secondes on passe de la genèse (Paris commença de la façon suivante : c’était une île qui affectait un peu la forme d’un bateau) et de quelques images pompeuses (Sainte Geneviève sauvant la ville des Huns) à la rogne de quelques citadins grognant contre l’occupation anglaise et attendant l’intervention miraculeuse de Jeanne d’Arc, qu’on suive, en vers libres et sonores, les aventures de quelques uns de nos grands Rois et de nos profonds politiques (Louis XI, François Ier, Richelieu) en les mêlant à des histoires galantes (Agnès Sorel – Danielle Darrieux -, Gabrielle d’Estrées – Michelle Morgan -) ou drôlatiques (les évasions multiples de Latude), c’est même très bien.
On retrouve ainsi quelquefois la fantaisie de Remontons les Champs-Élysées, mais, je le redis, ça manque de structure. Et ce ne sont pas les apparitions, en trouvère sans voix de ma tête de Turc habituelle, le niaiseux Gérard Philipe qui me feront changer d’avis là-dessus.
Et puis ça souffre d’être trop filmé en studio, avec de trop rares images de ce Paris qui est censé être célébré…
Pourtant que d’émerveillements nostalgiques qu’un film présenté au grand public en 1956 ait pu évoquer, sans développer (ou mettre un carton d’information), Commynes, Diderot, Montesquieu, Chamfort, Rivarol, Fontenelle, ait pu, sans même en citer la source, mais en étant certain que tout le monde le reconnaîtrait, et reconstituer en une image élégante, autour de Renée Saint-Cyr le célèbre tableau de Winterhalter, L’Impératrice Eugénie et les dames de sa cour ! Voilà qui dit assez la décadence actuelle de l’instruction publique.
Belles séquences aussi, de l’innommable procès de Marie-Antoinette et des propos des buveurs de sang (Il faut la dépecer en quatre-vingt trois morceaux pour en envoyer aux quatre-vingt trois départements) et de la dignité de la Reine, extrêmement bien interprétée par Lana Marconi, ultime épouse de Guitry.
Et le film se termine sur l’image de Paul Fort, le Prince des poètes imaginant sur la butte, bien des lustres plus tard que l’avenir serait bien beau, si tous les gars du monde voulaient se donner la main…On n’a pas cette impression que sur ce point le monde ait évolué dans le bon sens.
Si Paris ne raconte pas notre Capitale mais sa légende. Il y a des contes de fées qui ne lassent jamais. ■
DVD autour de 20 €o
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Je vous l’accorde le style et le jeu de Gérard Philippe ont bien vieillis..mais. que dire de celui de Jean Marais ?
L’époque parlait encore de romantisme et de poësie et ceux qui. n’ont pas assisté aux représentations du théâtre de Suresnes à l’époque de Jean Villars ont perdu quelque chose de ce qui était le charme français représenté par Gérard Philipe à l’époque.
Il n’y a plus de jeunes premiers romantiques et encore moins d’ingénues qui le soient quelque peu, nous ne sommes plus à l’époque des bisounours et c’est bien dommage.
Jean marais a toujours été un acteur de prestance mais dire que son jeu avait de la qualité serait hasardeux. Il a quelquefois joué dans d’excellents films (« Les miracles n’ont lieu qu’une fois » d’Yves Allégret, « Peau d’âne » de Jacques Demy et – si on aime ça – « La Belle et la Bête » de Jean Cocteau) mais il n’a jamais transcendé son rôle.
Gérard Philipe (un seul P), c’est autre chose. Ceux qui apprécient le théâtre (ce n’est pas mon cas) l’ont trouvé du plus haut talent. Au cinéma, à mon sens, il n’est bon que lorsqu’il joue les salauds ou les victimes : les rôles noirs lui vont comme un gant : « Une si jolie petite plage » d’Yves Allégret, « Monsieur Ripois » de René Clément, « Pot-Bouille » de Julien Duvivier…
Existe-t-il aujourd’hui des rôles de jeunes premiers romantiques ? La question vaut d’être posée, c’est exact.