Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Certes, M. Macron sait rappeler quand l’occasion lui en est donnée la persévérance de la France dans ses amitiés et engagements.
C’est souvent à l’occasion d’événements tragiques : la mort d’un ou plusieurs de nos soldats au Mali, l’explosion terrifiante qui endeuille la capitale libanaise. Les mots comptent alors car l’émotion domine. Mais il est des cas où les mots sont impuissants à masquer une réalité désagréable, des situations où il est inopportun d’annoncer plus qu’on ne peut tenir. Ainsi, jeudi 10, à Ajaccio, entouré de ses homologues de six pays du sud de l’UE, M. Macron a menacé la Turquie de sanctions pour l’amener à résipiscence en Méditerranée orientale. M. Macron se faisait-il alors des illusions ? La réaction turque à ses propos a été cinglante, M. Erdogan n’ayant pas été intimidé. Le mieux que M. Macron puisse espérer désormais, c’est que le Conseil européen du 27 septembre se montre solidaire, ce qui pourrait permettre d’ouvrir des discussions en vue d’un accord gréco-turc, le tout sous direction allemande.
Or, on sait tout l’intérêt que l’Allemagne a à maintenir des relations non conflictuelles avec la Turquie : entre trois et quatre millions de Turcs, binationaux compris, vivent sur son sol et elle est particulièrement intéressée au respect de l’accord euro-turc sur les camps de réfugiés. « Médiation » allemande en fait, autant dire que M. Macron et ses nouveaux protégés grecs et chypriotes risquent fort d’avoir à en rabattre.
Une autre affaire, concomitante, illustre aussi la faiblesse et les difficultés françaises à mettre en oeuvre une politique étrangère sans le consentement allemand. Corsetée dans une UE dominée par l’Allemagne et plutôt russophobe, la France a manifesté des velléités de renouer avec la Russie. Cependant tout semble montrer qu’au delà des paroles, elle n’a pas, là non plus, tout son libre arbitre. L’empoisonnement présumé de M. Navalny a servi de révélateur.
Berlin, d’accord en cela avec et Washington, en impute avec indignation la responsabilité à Moscou. Socio-démocrates, libéraux, écologistes et de nombreux chrétiens-démocrates exigent en représailles la suspension du projet de gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l’Allemagne, projet auquel, comme par hasard, les Américains sont aussi hostiles. Mme Merkel semble gênée car l’enjeu financier se chiffre en milliards d’euros mais se verra contrainte soit d’accepter, soit de trouver une autre mesure : certains réclament un embargo total d’au moins trois mois (pour commencer) sur toutes les importations de gaz et de pétrole russe en Europe.
L’Allemagne doit avoir ses raisons mais, à nous-autres Français, peu nous chaut ce M. Navalny avec qui M. Poutine aurait réglé des comptes. Apparemment bien mal d’ailleurs, puisque l’attentat est un échec – ce qui ne cadre pas avec son prétendu commanditaire. Certains estiment qu’Il pourrait plutôt s’agir d’un pied de nez aux « occidentaux » qui, tout récemment le sommaient contre tout bon sens de ne pas se mêler des événements en cours en Biélorussie. Du coup, M. Le Drian estime, avec son collègue allemand M. Maas, qu’il s’agit d’« une atteinte très grave aux principes élémentaires de démocratie et de pluralisme politique » et exige que les responsables soient « identifiés et traduits en justice ». Fort peu diplomatique, mais au diapason des déclarations de l’Otan (autant dire Washington) et de l’Union européenne. Pis : Paris ajourne la réunion des ministres des Affaires étrangères et de la Défense de France et de Russie programmée ce 14 septembre et envisage la même chose pour la visite dûment prévue de M. Macron à Moscou. Grave faute politique.
La France, qui avait amorcé un timide mais bien réel et tout à fait souhaitable réchauffement avec la Russie – à la désapprobation évidente de l’Allemagne – rentre donc dans le rang : elle s’aligne, peut-être avec résignation, tant il est vrai que Berlin agira à sa guise et qu’en principe il faudra bien suivre. Etre à la remorque de l’Allemagne n’est pourtant pas une fatalité. Des pays d’Europe centrale et orientale, qui pèsent bien moins que la France, savent dire non à l’occasion, par exemple sur l’immigration forcée, et subissent en retour des pressions énormes. Dire non, en sachant qu’il faudra assumer les difficultés qui pourraient en résulter, ce serait tout simplement se montrer courageux. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
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Clarté, qualité de l’écriture, clairvoyance : bravo Jacques !